qui avait les deux jambes broyées un peu plus haut que le genou. On l’étendit sur le sol, à côté d’un énorme tas de fusils cassés. Il respirait à peine, les yeux clos. Rapidement le médecin l’amputa sans plus de cérémonie, lui enveloppa de linges blancs ce qui lui restait de jambes, et s’occupa d’un autre blessé. Ce fut si simple, si bref, que nous fûmes stupéfaits. Nous regardions l’homme. Les linges blancs étaient vite devenus rouges. L’homme achevait de mourir là, comme un chien, sans exciter d’autre pitié que celle de deux officiers français.
Le feu de notre artillerie croissait en violence et menaçait directement le fond du ravin. On nous fit monter le plus loin possible sur la contre-pente couverte de gourbis, point mort pour les 75. Des arbres s’écroulaient avec fracas. Des éclats d’acier sifflants volaient jusqu’à nous, cassant des branches. Le bois était ébranlé de craquements. Un obus tomba à une vingtaine de mètres du poste de secours. Les deux fossoyeurs continuaient hâtivement leur besogne. Seuls ils restaient dehors, et les prisonniers français. Les soldats allemands s’étaient réfugiés dans leurs niches fragiles. Il neigeait. Il faisait froid. J’avais la fièvre. J’avais soif. Je grelottais. Notre artillerie s’acharnait. Une pensée nous vint, et l’espoir avec elle : était-ce le prélude d’une contre-attaque ? Si elle réussissait, si elle nous délivrait, si seulement elle amenait le désarroi chez l’ennemi, si nous pouvions en profiter pour nous échapper et regagner nos lignes à la faveur de la nuit, si…
Ce ne fut pas la contre-attaque. Elle ne se produisit que plus tard, — trop tard pour nous.