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le purgatoire

Cette fois, la kellnerin se rendit à la caisse. La caissière prévint le gérant. Le gérant sortit. Bref, au dessert, interrogé par un gendarme, le capitaine dut s’avouer vaincu. Et savez-vous ce qui avait éveillé l’attention de la servante ? Peu de chose : la politesse de l’officier français. En effet, dans un hôtel, dans un restaurant, dans une brasserie, jamais un allemand ne dit « merci beaucoup » ou « merci bien » à une kellnerin. Cela ne se fait pas. On tolère à la rigueur un « merci » tout court, un Danke brutal, mais il est plus élégant de se taire. Ainsi l’exige la bienséance boche. Le capitaine paya cher sa politesse.

De même, mais ceci se conçoit avec moins de peine, un lieutenant se fit reconnaître et arrêter au guichet d’une gare, tandis qu’il demandait son billet. Pourtant il parlait bien l’allemand, mais son allemand était trop livresque. Il lui manquait cette souplesse du langage familier. En France, vous dites à l’employé de l’Ouest-État :

— Auteuil, deuxième, retour.

Vous ne lui dites pas :

— Voulez-vous me délivrer un billet de deuxième classe, aller et retour, à destination d’Auteuil ?

Le lieutenant fut repris comme l’avait été le capitaine.

Pour ceux qui restaient, les évasions étaient d’admirables sujets de joie. La colère des Boches nous amusait. Ils ne savaient pas la dissimuler. Quand un officier manquait à l’appel, on sentait que le vieil oberst de Seckendorff mourait d’envie de cravacher les autres. Ce qu’il n’admettait pas, cet honnête homme, c’est qu’un prisonnier qui s’évadait fût secondé par ses