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et de leurs fusils, mais de la peur de ne pas réussir. Au dernier moment, les genoux fléchissent, la sueur coule sur le front, le cœur bat violemment. Et, à peine sorti du dangereux passage, brisé déjà par cet effort, le prisonnier va courir tous les dangers. À vol d’oiseau, le camp de Vöhrenbach n’est guère à plus de quarante kilomètres de ce point de la frontière suisse qu’on appelle la boucle de Schaffhouse. Mais le pays est montagneux, ce qui ne rend pas la marche facile. En outre, toute cette région est fortement gardée. Des patrouilles de gendarmes, à cheval ou à bicyclette, parcourent les routes. Il ne faut pas songer à se risquer sur les chemins ou les sentiers muletiers. Les douaniers ont aussi leur zone de surveillance. Des réseaux de fils de fer entravent les issues naturelles. Des chiens policiers aident les gendarmes et les douaniers. Ils constituent l’écueil le plus rude. Comment dérouter un chien ? En frottant d’ail la semelle des chaussures ? Mais le procédé n’est pas infaillible. Et à tous ces obstacles matériels, ajoutez la fatigue physique et morale qui courbe les épaules, coupe les jarrets et trouble l’esprit. Le prisonnier voit partout des gendarmes. La fièvre le tient. Le plus souvent, quand il échoue, il a les yeux hagards et le rire nerveux de l’homme touché par la folie.

Un jour, un lieutenant était à bout de forces. Instinctivement, malgré les conseils de la plus élémentaire prudence, il se sentait attiré par la route. Depuis quarante-huit heures, il n’avait mangé que des limaces et des herbes, et la frontière était à douze kilomètres de lui. Il s’effondra dans un fossé et il pleura. La machine refusait de lui obéir, et sa volonté elle-même