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prisonnier

flottait un petit drapeau blanc à croix rouge, servait de poste de secours. Un médecin, à lunettes d’or, légèrement ventru, nu-tête, procédait aux premiers pansements et à l’évacuation des blessés. Les hommes faisaient queue devant la porte. Ils étaient nombreux. Je perçus nettement cette odeur qu’on trouvait dans les tranchées allemandes et dont garderont le souvenir ceux qui furent à une attaque victorieuse ; car l’Allemand a une odeur particulière. Les blessés légers, munis d’une étiquette, partaient à pied et seuls. Les grands blessés étaient placés sur une toile de tente ou sur une capote, et quatre hommes valides les emportaient. Pour cette besogne on employait surtout des Français chasseurs ou soldats — qu’on venait de capturer. Et tous s’enfonçaient dans le bois, gravissant l’autre pente du ravin, vers les Chambrettes, où éclataient nos 75 avec des claquements de rage. Les blessés français, peu nombreux à cause du massacre qui en avait été rude, amenés ici par des brancardiers allemands, étaient couchés le long du poste de secours, dehors. Le médecin à lunettes ne s’occupait d’eux que lorsqu’il n’avait plus d’Allemands à soigner.

Devant la cabane de la Croix-Rouge, il y avait un cimetière. Une centaine de tombes alignées, avec des croix de bois peintes en noir, surmontées d’un casque recouvert du manchon gris, ou d’une calotte de campagne à bandeau rouge. Sur quelques-unes, des fleurs. Quelques inscriptions, un nom, un numéro de régiment, une date. Deux soldats creusaient hâtivement de nouvelles fosses.

Par groupes accrochés à la pente du ravin, au milieu des gourbis, d’armes brisées, de vieux papiers et d’or-