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notre conversation. Mais il n’est pas de règlement qu’on ne tourne, même en Allemagne.

La garde du camp était confiée à des hommes de la landsturm. Territoriaux, ils avaient tous fait un séjour plus ou moins long sur le front russe. Revenus à l’intérieur, ils n’éprouvaient aucun désir d’aller défendre, sur quelque front que ce fût, cette patrie qu’en vain les journaux officiels représentaient comme lâchement attaquée par les Français et les Anglais. Ils avaient tous une femme et une ribambelle d’enfants. La vie devenait de plus en plus dure. Ils étaient fatigués de la guerre. Ils n’en voulaient plus. Leur lassitude se traduisait par une espèce de sympathie toute passive pour ces officiers dont ils avaient le devoir d’empêcher l’évasion. La plupart nous regardaient avec des yeux vides. Ils n’étaient pas fiers. Souvent, on les surprenait, qui ramassaient, sur les tas d’ordures, les boîtes de conserve vides et les morceaux de pain moisi que nous jetions. Le pain pouvait encore être trempé dans la soupe, et il reste toujours un peu de graisse au fond d’une boîte de pâté, même quand la boîte a été déjà nettoyée par un prisonnier. Il est patent que nos gardiens manquaient d’abondance. Pour tomber à ce geste furtif du vagabond qui inspecte les poubelles, il faut avoir faim. Cette certitude avait pour nous de l’importance.

Il n’était pas impossible d’acheter une sentinelle. L’opération réussit plusieurs fois. On constatait alors à quel point le respect de l’ordre militaire était ancré dans l’esprit de tous les Allemands. Quand on parlait durement à un soldat, on était assuré de le figer au garde-à-vous. L’Allemand pousse si loin la vénération