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le sens de l’honneur

messe : les Allemands ont de ces soucis déconcertants. Mais aucun de nos quatre prêtres n’était autorisé à la dire pour nous. Le curé de Vöhrenbach se dérangeait, nous bâclait le saint mystère en cinq secs, et nous offusquait les yeux d’une chasuble d’un bleu de Prusse outrageant. Visiblement, la corvée lui déplaisait. Bientôt, il cessa de venir, par bonté d’âme. Il fallut tolérer les services d’un prisonnier. La kommandantur y consentit enfin, mais, de l’Introïbo jusqu’à l’Ite, missa est, un officier allemand, capable de comprendre le sermon du prêtre et nos cantiques militaires, assistait à la cérémonie, et, le plus souvent, cette mission était confiée au médecin du camp, le doktor Rueck, qui était juif.

L’abbé T*** était sous-lieutenant. Belle et grande figure, noble caractère. Un jour, au cours d’une conversation familière avec des camarades, il employa l’adjectif « boche » à propos de je ne sais quoi. Depuis 1914, le mot est passé dans la langue, mais il blessait profondément nos ennemis, et il nous était interdit de le prononcer. Or, le doktor Rueck avait entendu l’abbé T***. Il courut à la kommandantur. Sans aucune considération religieuse ou sentimentale, le Freiherr von Seckendorff, catholique fervent, infligea au coupable six jours d’arrêts de rigueur et lui défendit de dire la messe pendant deux semaines. Qu’on décide après cela de la valeur des grimaces allemandes !