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c’est l’inaction. Pourriez-vous imaginer plus sombre châtiment : tu seras enfermé et n’auras rien à faire. Rien à faire ! Je me rappelais souvent les paroles du capitaine B***, de Mayence. Mais je voulais espérer que je réussirais là où tant d’autres avaient échoué. Quelle vanité !

Tout le monde travaillait autour de moi, dans une espèce d’émulation silencieuse. Peu à peu, des livres nous arrivaient de France. La kantine nous en procurait d’autres, et je garde un exemplaire du Double Jardin de Maeterlinck, parce qu’il avait été volé quelque part, comme la reliure de l’ouvrage le prouve. Les officiers qui savaient un peu d’allemand, essayaient de se perfectionner et donnaient à des camarades studieux les premières notions de cette affreuse langue. Ainsi j’avais décidé d’approfondir mes études de jadis. Je revis la grammaire, et m’attelai de nouveau aux contes de Grimm et au Romancero de Heine avant d’aborder les véritables Niebelungen dont j’aurais voulu pénétrer les arcanes. Deux contes puérils et trois courtes chansons de Wilhelm Müller suffirent à me dégoûter de mon ambition. Tout me semblait odieux de ce pays, les sons rauques de ses tendresses poétiques, la couleur de ses paysages, l’aspect de sa typographie et l’odeur de ses soldats. Écœuré, je rangeai mes livres allemands pour ne plus les ouvrir. De nombreux camarades n’eurent pas plus de courage. La langue des Boches rebute.

D’autres s’accrochèrent aux Anglais et aux Russes, qui se mettaient fort gentiment à leur disposition. Ceux-là ne furent pas plus heureux. À peine commençaient-ils à se débrouiller au milieu des fantaisies de