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serait magnifique ? Pour peu qu’il eût l’esprit critique développé, il jugeait aussi sans doute que les familles françaises ne se fatiguaient pas pour baptiser leurs filles ; en effet, presque tous les officiers avaient pour sœur ou pour cousine une Marianne ou une Françoise dont la santé était l’objet de bien des sollicitudes. Et ce nous était une douce joie de nous communiquer entre nous les secrets français qui trompaient la vigilance de monsieur le Censeur.

Il est vrai que monsieur le Censeur n’opérait pas seul et que ses aides n’avaient peut-être ni la même conscience ni la même astuce que lui. De ces deux soldats qui le soulageaient d’une partie de sa besogne, l’un était aussi méchant mais plus bête, et l’autre, qui n’était pas bête du tout, ne s’acquittait de ses fonctions qu’avec nonchalance.

Les-Méziés (ainsi nommé parce que, quand il avait un ordre à nous traduire, il commençait par ces mots : « Les messieurs sont prévenus », qu’il prononçait : « les méziés » ), ancien employé chez une marchande de fleurs de Nice, avait plutôt la tête de ces laquais en livrée préposés à l’ascenseur dans les palaces. Il avait l’air hargneux et constipé. Il nous détestait de tout son cœur et nous le lui rendions. Son collègue, dit la Galoche, à cause de son menton, était plus couramment nommé Sourire d’Avril. Né en Alsace, et il s’en vantait, il dirigeait avant la guerre, à Mulhouse, une petite pension pour jeunes gens. L’issue de la lutte le tourmentait peu. Français ou Allemand, il avait l’intention de retourner à Mulhouse et d’y poursuivre ses modestes affaires. Il n’apportait aucune ardeur à son service. Il semblait gêné le plus souvent,