garçon. Monsieur le Censeur eut un beau geste.
— Mais pas du tout, monsieur, dit-il. Dans des circonstances pareilles, nous vous autorisons à écrire une carte supplémentaire. Allez écrire cette carte, monsieur, et apportez-la. Elle partira tout de suite par le courrier de ce soir, sans subir la retenue de dix jours, qui est de règle.
Le lieutenant remerciait. Le censeur protesta :
— C’est tout naturel, monsieur.
Seulement, trois mois plus tard, comme il était de nouveau en face de monsieur le Censeur, le lieutenant vit sur la table sa carte supplémentaire, qui n’était jamais partie.
Cependant, si monsieur le Censeur gagnait sur nous de nombreuses parties, combien de coups d’épingle n’a-t-il pas reçus dans son amour-propre ! Et aussi combien de coups de couteau ! Les lettres qu’on nous adressait, toutes dépourvues de renseignements militaires, nous révélaient pourtant bien des choses au nez de la censure. Dès le début de juillet 1916, au moment de l’offensive franco-anglaise de la Somme conjuguée avec l’offensive russe, l’enthousiasme des succès se devinait dans toutes les enveloppes venues de France. Il y aurait un beau recueil à publier avec toutes ces nouvelles spirituellement déguisées qui nous réjouissaient chaque jour. C’était une débauche de détours, d’allusions et d’images où le Boche perdait pied. Si monsieur le Censeur était amateur de statistiques, il fut probablement étonné de constater que, sur les deux cents officiers de son domaine, les trois quarts pour le moins étaient vignerons, car quelle mère n’annonçait pas à son fils que la vendange de 1916