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le purgatoire

pétrifiait dans une raideur d’automates dont nous nous amusions.

Freiherr von Seckendorff, dit Kœniggraetz, avait la manie des discours. Pour le moindre événement, il se présentait à nous au moment de l’appel du matin, et il nous haranguait. Chaque fois c’était la même comédie. Il commençait en français, d’une voix calme, presque aimable, cherchait ses mots, ne les trouvait pas toujours, et tout à coup, au tournant d’une phrase, excédé de fatigue et ne contenant plus ses impressions, se jetait tête basse dans les lourdes périodes allemandes. Sa voix montait, pleine de graillons, libérant toute une bile, dont nous avions de la peine à ne pas rire.

Meine Herren… Meine Herren

Le vieillard tonitruait, bafouillait, levait la canne, secouait la tête, et, pour finir, saisi d’une quinte de toux furieuse, il s’en allait en prenant le ciel à témoin de son impuissance.

Freiherr von Seckendorff était suivi constamment par son adjoint, un capitaine de cavalerie qui ne se mêlait à aucun débat, qui passait pour être le gendre de son colonel, et dont nous ignorions le nom. Quand j’aurai dit que nous l’appelions Tête de veau, je n’aurai pas besoin de tracer le portrait de ce comparse falot et sévère.

Monsieur le Censeur, leùtnant d’infanterie, était certainement l’officier le plus cruel, le plus sournois, et le plus acharné de toute la boîte. Combien de fois, devant lui, n’ai-je pas éprouvé de fortes démangeaisons au bout des mains ? Il rappelait le Herr Schmidt de Mayence, comme s’il eût été son frère, mais il avait moins de désinvolture et un peu plus de lenteur