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le camp de vöhrenbach

Allemands désiraient tant susciter entre nous, étayait au contraire notre amitié instinctive pour ceux qui couraient dans la guerre la même fortune que nous. En outre, tous les officiers français rassemblés à Vöhrenbach étaient des vaincus de Verdun. Tous avaient à leur actif de nombreux mois de campagne. La plupart avaient été blessés, et même plusieurs fois. Beaucoup n’avaient quitté le front depuis le 2 août 1914 que pour les malheurs de la captivité. C’est dire que le moral de ces hommes était difficile à atteindre. Les Allemands pouvaient à la rigueur essayer de saper la confiance des prisonniers de Charleroi et de Morhange et de Maubeuge, qui n’avaient pour eux que leur foi dans les destinées de la France impérissable. Mais que pouvaient-ils sur nous, soldats de Verdun, qui étions, non point entraînés d’une espérance mystique, mais nourris de la certitude matérielle de la défaite allemande par tant de preuves que nous avions vues de nos yeux ? En nous groupant dans le même enclos de fil de fer, l’Allemagne commettait une erreur entre d’autres. Du moins, je jugeais de cette manière lors de mon arrivée à Vöhrenbach, parce que j’ignorais encore que le camp des hommes de Verdun allait devenir sous peu de temps un camp de représailles.

Toutes ces idées que je développe ici, ne sont pas seulement les miennes : elles n’auraient aucune valeur. Elles sont en quelque sorte le suc que j’ai tiré de mes nombreuses conversations avec tant de charmants compagnons de chaîne, au cours de ces premières journées du camp de Vöhrenbach, si longues et si vides. Notre vie n’était pas encore arrangée. Nous n’avions pas encore repris le contact avec nos familles.