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le purgatoire

où trop de balivernes sentimentales ont force de loi, pour n’être pas persuadés qu’au jour de la paix, quand nous serions enfin en état de parler seuls, les hommes de la-main-tendue-à-tout-prix se boucheraient les oreilles devant nos cris de douleur et passeraient un grand coup d’éponge sur le tableau de nos misères. Voyant clairement les manigances où s’entravait l’action militaire de la France, car nous étions aux loges de balcon, là-bas, dans nos camps, nous entendions déjà la voix de ces messieurs accueillant le retour de nos prisonniers par cette simple chanson, qui chasse les mauvais souvenirs :

Oublions le passé, reviens !

Nous n’avions plus nous-mêmes qu’à chanter. C’est ce que nous faisions, même quand nous avions envie de pleurer. Nous prenions notre mal en plaisanterie et notre attitude, enfin la seule qui convînt à notre solitude, était de réagir contre nos geôliers par le sourire, qu’ils ne comprenaient pas, et par le rire, qui les ahurissait. En captivité, les liens de la camaraderie se resserrent. Tant d’hommes, d’esprit, de cœur, d’occupations, de soucis, de travaux et de plaisirs dissemblables, ne forment plus qu’un bloc épais que rien n’entame.

Plus qu’aucun autre, le camp de Vöhrenbach permettait cette cohésion qui désespérait les Boches. Certes, comme à Mayence, comme partout ailleurs, il y avait aussi à Vöhrenbach quelques officiers russes et anglais, mais ils n’étaient qu’une poignée, une dizaine au total, et leur présence, loin d’amener ces brouilles et ces chicanes dont j’ai déjà parlé et que les