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vers un autre camp

en Allemagne. C’est à ce moment qu’il se décida enfin à nous révéler le nom de l’endroit où il nous conduisait. Nous allions à Vöhrenbach. Dans une heure, nous serions arrivés à notre nouvelle prison. Il ajoutait que le camp était de création récente et que les officiers prisonniers étaient enfermés dans un grand bâtiment de pierre, en dehors du village.

De nouveau la tristesse nous saisit. Le pays que nous traversions était d’une pauvreté rare : des plaines d’un vert jaunâtre très sec, à l’infini, sans un accident. Depuis Donaùeschingen, la locomotive avait, comme signal d’avertissement, non plus un sifflet, mais une cloche. Ces sons de cloche dans la morne campagne ensoleillée retentissaient d’une façon lugubre. Aux moindres haltes, le train s’arrêtait. À l’une d’elles, derrière la barrière du passage à niveau, un soldat français nous salua. Il était minable et travaillait dans une ferme voisine.

— Et Verdun ? nous demanda-t-il de loin.

Et, pour nous remercier de la nouvelle que nous lui jetions de l’échec allemand, il nous lança ce cri de réconfort :

— Ils crèvent de faim.

Cette petite scène nous avait émus. Nous ne songions plus à notre découragement. D’ailleurs, une fois de plus, le paysage changeait d’aspect, et, fuyant le plateau désolé, le train rentrait dans la Forêt-Noire des bois touffus, des collines abruptes, des monts plus rudes, des rigoles d’eau claire, et de la neige. La campagne semblait moins peuplée et nous serions au bout du monde dans ce Vöhrenbach, quoique assez près de la Suisse, ce qui nous soutenait beaucoup ;