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vers un autre camp

sur un délicieux ruisselet qui paraît navré de porter cette horreur au-dessus de lui. Tel contre-sens remet les choses au point et donne une chiquenaude à l’enthousiasme incongru du voyageur. La route, d’un seul côté, est bordée à intervalles réguliers par de très vieilles bornes de pierre verdies par le temps, qui suscitent des images puériles de chevauchées anciennes sur des chemins douteux. Tout le bric-à-brac des souvenirs romantiques s’impose à nouveau. Cependant, je retombe vite dans la réalité. Quel est ce cortège ? Un groupe de femmes, précédé d’un groupe d’hommes qui marchent derrière un lourd chariot de ferme attelé d’un seul cheval. Nous arrivons à sa hauteur. Un cercueil, qu’aucune draperie ne couvre, est posé sur le chariot. Et pas un prêtre n’accompagne l’enterrement.

Nous sommes en pleine Forêt-Noire. Hornberg, petite ville charmante au fond de la vallée. À flanc de montagne, un vieux burg en ruines la domine. Mais le burg est à moitié caché par un horrible hôtel transformé en hôpital, près duquel un cimetière montre nettement un grand nombre de croix toutes neuves.

Le train sort d’un tunnel pour entrer dans un autre, comme s’il jouait à cache-cache, et le jeu se prolonge pendant une bonne heure. Entre deux tunnels, nous apercevons de belles échappées d’escarpements. La vallée est à nos pieds. Ses pentes, qui sont d’admirables pâturages où pas un animal ne pâture, sont sillonnées de rigoles concentriques où coule une eau claire, et, vu de haut, tout le paysage a l’air d’une carte topographique où ces rigoles tiendraient lieu des courbes de niveau.