Page:Sandre - Le purgatoire, 1924.djvu/150

Cette page a été validée par deux contributeurs.
138
le purgatoire

toilettes légères, des ombrelles, des couleurs chatoyantes. Sur le quai, un brancard, avec un cadavre sanglant. Et les douces Allemandes se jetèrent sur le mort, et les ombrelles horribles le frappèrent avec rage. Mais combien d’images semblables me reviennent à l’esprit ! Et vous aussi, vous en connaissez de ces histoires dont vous niez quelquefois la possibilité, tant elles dépassent les limites de l’effroyable.

Aujourd’hui, nous sommes loin de ces jours sinistres. Charleroi fut une victoire sans lendemain. La Marne fut un charnier d’Allemands. L’Yser fut un charnier d’Allemands. Paris n’a pas été atteint. La guerre est perdue. Il faut sauver la face. Et voici que Verdun est un charnier d’Allemands. Depuis un mois bientôt, les assauts se multiplient, le sang coule, les hommes tombent, et Verdun n’est pas pris, et le rêve de la paix entrevue sur les ruines de la citadelle inviolée s’évanouit dans la fumée des obus impuissants, et l’heure approche peut-être où les criminels seront jugés, où les coupables devront rendre des comptes, tous les comptes. La France n’est pas vaincue. On la croyait faible. Elle est encore très forte. La France ne sera peut-être pas vaincue. Et alors, et alors, il faut la ménager, il faut craindre le châtiment, il faut craindre la vengeance. On ne dit plus rien maintenant aux prisonniers français quand ils passent sur le quai d’une gare. Ils sont redoutables, ces prisonniers, car ils parleront après la guerre, ils se plaindront, ils demanderont que justice soit faite. Ce n’est donc plus par la brutalité qu’il faut agir sur eux. L’intérêt mieux compris invite à plus de circonspection. Mais, parce qu’on ne sait jamais comment les choses peuvent