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vers un autre camp

nier français n’aurait voyagé dans les conditions où nous voyageons. Le prisonnier français, blessé ou non, était moins que rien. On ne sait pas au juste pourquoi on ne l’achevait pas sur place. Mais on le traitait avec tant de haine et de sauvagerie que ce crime seul, s’il n’y en avait pas tant d’autres, suffirait à flétrir à jamais l’Allemagne. Les exemples sont trop nombreux : le martyrologe de nos prisonniers est inépuisable. Je connais un lieutenant d’infanterie, un de ces enfants de la promotion de Montmirail qui se gantèrent de blanc pour mourir. Il m’a raconté sa passion. Il avait une balle dans le cou ; les brancardiers allemands l’avaient ramassé près de Morhange. On l’empila dans un vagon à bestiaux avec des soldats français et des soldats allemands, tous blessés. Les Allemands étaient couchés sur de la paille, et ils avaient des couvertures. Les Français gisaient sur la planche nue, et la plupart étaient déshabillés à cause de leurs plaies. Le voyage dura plusieurs jours. À chaque gare importante, on ravitaillait les Allemands, on les gavait de friandises. On ne donnait rien aux Français et on les injuriait. Une fois, le petit lieutenant, épuisé par la fièvre, demanda de l’eau à une femme. De l’eau ! Cette femme était une diaconesse, une Schwester, une religieuse ; elle avait l’insigne de la Croix-Rouge. Elle refusa de donner de l’eau au petit lieutenant, en lui criant à tue-tête qu’elle n’avait rien pour ces chiens de Français. Ce n’est pas tout. En cours de route, pendant la nuit, un soldat mourut, un troupier au pantalon rouge, un chien. On le tira du vagon, devant une foule où les femmes étaient nombreuses. Merveilleuse journée d’août ! Du soleil, de la clarté, des