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le purgatoire

J’eus tôt fait d’épuiser les curiosités que la citadelle pouvait m’offrir. Le tour du propriétaire n’était pas compliqué. La bibliothèque est ici, le réfectoire est ici, la salle de douches est ici, l’infirmerie est ici, la kommandantur là, et le bureau du payeur là. J’avais tout vu. À huit heures du matin, je n’avais plus rien à connaître et je n’avais plus rien à faire. Alors j’eus la vision nette du supplice que les Allemands nous réservaient : l’ennui et l’inaction. Villiers de l’Isle-Adam et Octave Mirbeau n’auraient pas imaginé celui-là. Un affreux désespoir me prit. D’autant qu’il ne m’était pas encore permis d’organiser quoi que ce fût. Rien ne m’assurait que je demeurerais au camp de Mayence. Pour ce motif, la bibliothèque des prisonniers ne m’était pas ouverte. Les camarades de chambre me prêtèrent un livre dont ils n’avaient pas besoin pour le moment : c’était la Conquête de Plassans, de Zola. Dans l’état de misère morale où j’étais tombé, je ne pouvais pas trouver de plus noir quinquina.

On ne saurait se promener toute la journée ni tenter de battre des records de marche du matin au soir, en tournant en rond dans une cour comme un cheval de moulin, et particulièrement quand on traîne la jambe. Il n’est pas expédient non plus de passer des heures et des heures à poser aux anciens prisonniers des questions qui m’intéressent sans doute, mais qui risquent de les importuner. Enfin, on ne dort pas à volonté, malheureusement, et il n’est pas d’exercice plus périlleux que de se livrer à la douleur des souvenirs. Il ne me restait qu’à errer comme un chien perdu, au hasard, n’importe où. C’est ce que je fis.

L’appel du matin m’apporta une diversion. À neuf