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à Émile Henriot


CHAPITRE IX

le camp de mayence
(16 mars 1916).

Je croyais qu’une fois sorti de cette geôle sombre qu’était le « saloir », je serais le plus heureux des prisonniers. Il me semblait que j’éprouverais un plaisir sans pareil à goûter, dans l’immense cour de la citadelle de Mayence, cette liberté que monsieur le censeur nous avait promise avec tant de grâce. Je ne connus qu’un ennui sans bornes et une effroyable tristesse. Une grande prison, parce qu’elle permet quelques mouvements, est plus déprimante qu’une cage où l’on se retourne avec peine. C’est du moins le sentiment que je tirai de mon apprentissage de la vie en commun dans un camp de prisonniers. Dans cette foule d’officiers français, russes, anglais et belges, je me trouvai plus isolé que jamais. Quand on est captif depuis plusieurs mois, on ne se souvient plus de ses premières heures de captivité, et on laisse le nouveau camarade à sa dangereuse solitude, non point tant par égoïsme que par négligence ou par oubli. Le camp de Mayence m’apparut comme un désert sinistre.