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le purgatoire

cheval, est le plus aimable, et son accueil me touche. Il veut que je lui parle tout de suite de Verdun, et son inquiétude est trop légitime pour que je ne le satisfasse pas de mon mieux. Je ne sais pas grand’chose de la formidable bataille. Que sait un sous-lieutenant dans la tranchée ? Mais je n’hésite pas à affirmer que toute l’armée française se fera hacher sur place plutôt que de livrer Verdun.

Et le capitaine B*** me répond simplement ces mots magnifiques :

— Nous n’en avons jamais douté.

Ô notre France lointaine ! Quelle flamme n’y a-t-il pas en toi pour que tous ces cœurs soient encore et toujours si chauds, après tant de misères, tant de deuils, tant de vexations, si loin de toi ! Quand tout s’acharne sur ces pauvres prisonniers, l’ennui, la faim et les communiqués mauvais, ils ont encore la force de ne pas désespérer ; et, si je leur dis que la France ne veut pas perdre Verdun, ils me répondent sans emphase, après dix-neuf mois de souffrances :

— Nous n’en avons jamais douté.

De trouver cette chaleur de sentiments chez ces anciens prisonniers me donne un coup de fouet et, tout accablé que je suis par ces derniers jours que je viens de vivre dans la fièvre, je me ressaisis pour être digne de mes camarades.

Survint un lieutenant, qui n’est pas de notre chambre. C’est un ami, un Parisien, affable, qui se met à la disposition du capitaine B*** pour lui apprendre l’anglais et qui, ce soir, voulait faire un peu de musique. Les camarades étaient heureux de sa visite. Il se mit au piano avec une grande simplicité. Un lieutenant