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le purgatoire

par petits groupes avec des anciens en pantalon rouge qui, évidemment, sont friands des nouvelles que nous apportons, parce qu’elles sont moins suspectes que celles que colportent les ordonnances. Je ne remarque pas sans mélancolie que les camarades libérés de la quarantaine ne daignent pas lever les yeux vers la fenêtre d’où nous suivons leurs mouvements. Leur aurait-on défendu par hasard d’essayer de communiquer avec nous, même par gestes ? Ou ne pensent-ils déjà plus à la cage d’hier ? Les heures sont interminables.

Il faisait nuit, et je restais seul dans ma prison. À 6 heures ½, on n’était pas encore venu me chercher, et je m’attendais à ne plus être appelé. Quelle probabilité y avait-il que messieurs les officiers allemands travaillassent jusqu’à une heure si avancée ? Mais je me trompais. Comme les camarades je fus interrogé. Pur interrogatoire d’identité. Je donne mes nom, prénoms, âge, lieu de naissance, domicile et profession. À mesure que je réponds, on écrit et on contrôle, en se reportant à des feuilles de papier qui sont trop loin de moi pour que je puisse en distinguer l’origine et la teneur. Quelques questions d’ordre militaire me sont posées, rapidement, sans conviction. Puis des questions d’ordre général, et moral, pour ainsi dire. Quelle est mon opinion sur la guerre ? Sur les attaques de Verdun ? Toujours les mêmes questions et toujours les mêmes réponses, et toujours le même silence.

J’étais libre enfin. J’allais prendre ma place comme les autres dans le camp. Un soldat m’accompagna jusqu’à la chambre no 23 qui serait désormais la mienne.