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serte, et le passé se dressa tout vivant devant moi. Hélas ! je ne vous dirai ni ma joie ni mes peines. Qui n’a pas revu, après des jours de tourmente et d’orage, les lieux où s’écoula la fraîche matinée de la vie ? qui n’a pas eu à y pleurer sur des souvenirs et des tombes ?

» Le rideau n’était pas levé, les premiers accords de l’ouverture n’avaient pas encore fait passer le frisson sur toutes les âmes, lorsqu’un mouvement semblable se communiqua à l’assemblée : tous les regards se portèrent avec intérêt, avec une admiration mêlée de pitié vers une loge d’avant-scène où venait d’apparaître une femme voilée. Je n’eus pas besoin de voir ses traits, je n’eus pas besoin d’entendre prononcer son nom pour la reconnaître ; son apparition apportait dans le cœur comme un souvenir des mélodies du ciel. Je n’écoutai pas le Don Juan, qu’on jouait sur la scène, et pourtant toutes les émotions de cette œuvre sublime passèrent dans mon cerveau exalté. Je m’étais approché jusqu’au banc adossé contre cette loge, où Gina s’enivrait douloureusement des triomphes d’autrui. Là, tout près d’elle, je respirais ses parfums, je comptais les palpitations de son sein. La cantatrice qui remplissait le rôle de dona Anna fut applaudie