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Le Français s’assit à la même table que Valterna : c’est alors seulement qu’il crut ne pas contempler ses traits pour la première fois. Il se demanda à quelle époque de sa vie le vague souvenir de cet homme devait le reporter, lorsque celui-ci, avec autant d’assurance que s’il l’eût quitté la veille, se jeta dans ses bras en l’appelant son ami, son camarade, son cher Numa. À ce nom le Français tressaillit ; il crut se retrouver enfant au collége de Montpellier, et serra contre sa poitrine un ancien compagnon dont la figure et le nom s’étaient presque effacés de sa mémoire, mais dont le caractère enthousiaste et sombre marquait comme un trait ineffaçable dans la vie de ceux qui l’avaient une fois rencontré.

— Vous me voyez bien changé, dit-il à son ami après ces premières effusions délicieuses pour deux cœurs qui trouvent l’un dans l’autre le témoignage d’un bonheur perdu ; le chagrin et la maladie m’ont vieilli plus que les années.

Numa l’interrogea avec cette réserve délicate qui inspire la confiance sans l’exiger.

— Gina ! répondit le Véronais ; et un sourire infernal sillonna sa bouche flétrie. Gina ! c’est toute mon histoire.