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» Alida était pure et sincère. Elle m’aimait. Elle connut aussi l’enthousiasme, mais une sorte d’enthousiasme athée, si je puis m’exprimer ainsi. J’étais son dieu, disait-elle. Il n’y en avait pas d’autre que moi.

» Cette sorte de folie m’enivra un instant et m’effraya vite. Si j’étais capable de sourire en ce moment, je te demanderais si tu te fais une idée de ce rôle pour un homme sérieux, la divinité ! J’en ai pourtant souri un jour, une heure peut-être ! et tout aussitôt j’ai compris que le moment où je ne serais plus dieu, je ne serais plus rien. Et ce moment-là, n’était-il pas déjà venu ? Pouvais-je concevoir la possibilité d’être pris au sérieux, si j’acceptais la moindre bouffée de cet encens idolâtre ?

» Je ne sais pas s’il est des hommes assez vains, assez sots ou assez enfants pour s’asseoir ainsi sur un autel et pour poser la perfection devant la femme exaltée qui les en a revêtus. Quels atroces mécomptes, quelles sanglantes humiliations ils se préparent ! Combien l’amante déçue à la première faiblesse du faux dieu doit le mépriser et lui reprocher d’avoir souffert un culte dont il n’était pas digne !

» Ma femme n’a du moins pas ce ridicule à m’attribuer. Après l’avoir doucement raillée, je lui parlai sérieusement. Je voulais mieux que son engouement, je voulais son estime. J’étais fier de lui paraître le plus aimant et le meilleur des hommes, et je comptais consacrer ma vie à mériter sa préférence ; mais je n’étais ni le premier génie de mon siècle, ni un être