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Eh bien, il y a des personnes qui rêvent presque toujours, même quand elles sont éveillées.

— C’est donc une maladie ?

— Oui, une maladie très-douloureuse et dont on guérirait par l’étude des choses vraies, car on ne fait pas toujours, comme toi, de beaux rêves. On en fait de tristes et d’effrayants quand on a le cerveau vide, et on arrive à croire à ses propres visions. Voilà pourquoi tu vois notre amie pleurer sans cause apparente.

— C’est donc cela ! Et, j’y pense, nous ne pleurons jamais, nous autres ! Je ne t’ai jamais vue pleurer, toi, que quand maman était malade ; moi, je bâille bien quelquefois, mais c’est quand la pendule marque dix heures du soir. Pauvre Alida ! je vois que nous sommes plus raisonnables qu’elle.

— Ne t’imagine pas que nous valions mieux que d’autres. Nous sommes plus heureuses, parce que nous avons des parents qui nous conseillent bien. Là-dessus, remercie Dieu, petite Rose, embrasse-moi, et allons voir si la mère n’a pas besoin de nous pour le ménage.

Cette rapide et simple leçon de morale et de philosophie dans la bouche d’une fille de dix-huit ans me donna beaucoup à réfléchir. N’avait-elle pas mis le doigt sur la plaie avec une sagacité extrême, tout en prêchant sa petite sœur ? Alida était-elle un esprit bien lucide, et son imagination n’emportait-elle pas son jugement dans un douloureux et continuel vertige ? Ses irrésolutions, l’inconséquence de ses velléités de religion et de scepticisme, de jalousie tantôt envers