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vous le savez dans doute ! Mais on ne me l’a point appris, et j’avais peur de la faire rire, moi qui me sentais tout en feu en écrivant. Allons, je remporte ma poésie, et je pars. Ne me parlez pas… Non, non ! pas un mot ; adieu. J’ai le cœur gros. Si vous m’empêchiez de me dévouer pour elle, je vous tuerais et je me tuerais ensuite… Ah ! ceci me fait penser… Quand on a des rendez-vous avec une femme, il ne faut pas se laisser surprendre et assassiner. Voilà des pistolets dans leur boîte. Ils sont bons, allez ! on les a faits pour moi, et aucun souverain n’en a de pareils… Écoutez ! encore un mot ! si vous voulez me voir, Manassé vous déguisera et vous conduira dans la soirée à mon hôtel. Il vous fera entrer sans que personne vous remarque. Fût-ce au milieu de la nuit, je vous recevrai. Vous aurez besoin de mes conseils, vous verrez ! Adieu, adieu ! soyez heureux, mais rendez-la heureuse.

Il me fut impossible d’interrompre ce flux de paroles, où le grossier et le ridicule des détails étaient emportés par un souffle de passion exaltée et sincère. Il se déroba à mes refus, à mes remerciements, à mes dénégations, dont, au reste, je sentais bien l’inutilité. Il tenait mon secret, et il fallait lui laisser exercer son dévouement ou craindre son dépit. Il me repoussa dans le casino, il m’enferma dans le jardin, et je me soumis, et je l’aimai en dépit de tout ; car il pleurait à chaudes larmes, et je pleurais aussi comme un enfant brisé par des émotions au-dessus de ses forces.