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étrangers, cette prise de possession qui avait bouleversé et ravi mon âme. Certes, auprès d’elle, Adélaïde et ses jeunes amies étaient de simples bourgeoises, très-ignorantes de l’empire de leurs charmes et très-incapables, malgré l’éclat de leur jeunesse, de lui disputer la plus humble conquête ; mais qu’il y avait de pudeur dans leur modestie, et comme leur extrême politesse était une sauvegarde contre la familiarité ! Une petite circonstance me fit insister en moi-même sur cette remarque. Alida, en se levant, laissa tomber son éventail ; dix admirateurs se précipitèrent pour le ramasser. Pour un peu, on se fût battu ; elle le prit de la main triomphante qui le lui présentait, sans aucune parole de remerciement, sans même un sourire de convention, et comme si elle était trop maîtresse des volontés de cet inconnu pour lui savoir le moindre gré de son esclavage. C’était un bon petit provincial qui parut heureux d’une telle familiarité. En fait, c’était de sa part une bêtise ; en théorie, il avait pourtant raison. Quand une femme dispose d’un homme jusqu’au dédain, elle le provoque plus qu’elle ne l’éloigne, et, quoi qu’on en puisse dire, il y a toujours un peu d’encouragement au fond de ces mépriseries royales.

Pour me venger du secret dépit que j’éprouvais, je cherchai quel service je pourrais rendre à Adélaïde, qui dansait près de moi. Je vis qu’elle avait failli tomber en glissant sur des feuilles de rose qui s’étaient détachées de son bouquet, et, comme elle revenait à sa place, je les enlevai vite et adroitement. Elle parut