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à mes côtés et en acceptant un de mes cigares ; c’est une idée, et je me livre à vous pour que vous la réalisiez. Je ne me crois supérieur à personne ; mais supposons que je sois très-fort d’intelligence et cependant très-faible en philosophie, que j’aie un grand chagrin ou un grand doute : c’est à votre éloquence exercée sur les matières du sentiment et de l’enthousiasme à me guérir en m’attendrissant ou en me rendant la foi. Voyons, improvisez !

— Oh ! doucement ! m’écriai-je ; je ne peux pas improviser sans répondre à quelque chose, et vous ne me dites rien. Il ne suffit pas de supposer, je ne sais pas m’exalter à froid. Confiez-moi vos peines, imaginez quelque drame, et, s’il n’y en a aucun dans votre vie, inventez-en un !

Il se mit à rire de bon cœur de ma fantaisie, et pourtant, au milieu de sa gaieté, je crus voir passer un nuage sur son beau front, comme si j’eusse imprudemment rouvert une blessure cachée. Je ne me trompais pas : il cessa de rire et me dit avec douceur :

— Mon cher monsieur, ne jouons pas à ce jeu-là, ou jouons-y sérieusement. À mon âge, on a toujours eu un drame dans sa vie. Voici le mien. J’ai beaucoup aimé une femme qui est morte. Avez-vous des paroles et des idées pour me consoler ?

Je fus si frappé de la simplicité de sa plainte, que je perdis l’envie de faire de l’esprit.

— Je vous demande pardon de ma maladresse, lui dis-je. J’aurais dû me dire que vous n’étiez pas un