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cer en sa présence ; mais, seul, et au risque de me briser ou de me perdre dans les abîmes, je consolais mon orgueil froissé, et je m’évertuais à devenir, moi aussi, un type de vigueur et d’audace. J’oubliais que ce qui faisait le mérite de ces entreprises désespérées, c’était un but sérieux, l’espoir des conquêtes scientifiques. Il est vrai que je croyais marcher à la conquête du démon poétique, et je m’évertuais à improviser au milieu des glaciers et des précipices ; mais il faut être un demi-dieu pour trouver sur de pareilles scènes l’expression d’un sentiment personnel. C’est à peine si je rencontrais, dans l’écrin chatoyant des épithètes et des images romantiques, un faible équivalent pour traduire la sublimité des choses environnantes. Le soir, quand j’essayais d’écrire mes rimes, je m’apercevais bien que ce n’étaient que des rimes, et pourtant j’avais bien vu, bien décrit, bien traduit ; mais précisément la poésie, comme la peinture et la musique, n’existe qu’à la condition d’être autre chose qu’un équivalent de traduction. Il faut que ce soit une idéalisation de l’idéal. J’étais effrayé de mon insuffisance et ne m’en consolais qu’en l’attribuant à la fatigue physique.

Une nuit, dans un misérable chalet où j’avais demandé l’hospitalité, je fus navré par une scène tout humaine, que je m’exerçai à regarder de sang-froid, afin de la rendre plus tard sous forme littéraire. Un enfant se mourait dans les convulsions. Le père et la mère, ne sachant pas le soulager et le jugeant perdu, le regardaient d’un œil sec et morne se débattre sur