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jours, lorsque Bénédict eut son plus terrible redoublement de fièvre. Il fallut l’attacher dans son lit. C’est encore une cruelle tyrannie que celle de l’amitié ; souvent elle nous impose une existence pire que la mort, et emploie la force arbitraire pour nous attacher au pilori de la vie.

Enfin Louise, ayant demandé à être seule avec lui, le calma en lui répétant avec patience le nom de Valentine.

— Eh bien ! dit tout d’un coup Bénédict en se dressant avec force et comme frappé de surprise, où est-elle ?

— Bénédict, répondit-elle, elle est comme vous aux portes du tombeau. Voulez-vous, par une mort furieuse, empoisonner ses derniers instants ?

— Elle va mourir ! dit-il avec un sourire affreux. Ah ! Dieu est bon ! nous serons donc unis !

— Et si elle vivait ? lui dit Louise, si elle vous ordonnait de vivre ! si, pour prix de votre soumission, elle vous rendait son amitié ?

— Son amitié ! dit Bénédict avec un rire dédaigneux, qu’en ferais-je ? N’avez-vous pas la mienne ? qu’en retirez-vous ?

— Oh ! vous êtes bien cruel, Bénédict ! s’écria Louise avec douleur ; mais pour vous sauver que ne ferais-je pas ! Eh bien ! dites-moi, si Valentine vous aimait, si je l’avais vue, si j’avais recueilli dans son délire des aveux que vous n’avez jamais osé espérer ?

— Je les ai reçus moi-même ! répondit Bénédict avec le calme apparent dont il entourait souvent ses plus violentes émotions. Je sais que Valentine m’aime comme j’avais aspiré à être aimé. Me raillerez-vous maintenant ?

— À Dieu ne plaise ! répondit Louise stupéfaite.

Louise s’était introduite la nuit précédente auprès de Valentine. Il lui avait été facile de prévenir et de gagner la nourrice, qui lui était dévouée, et qui l’avait vue avec joie au chevet de sa sœur. C’est alors qu’elles avaient réussi à faire comprendre à cette infortunée que Bénédict n’était pas mort. D’abord elle avait témoigné sa joie par d’énergiques caresses à ces deux personnes amies ; puis elle était retombée dans un état d’abattement complet, et, à l’approche du jour, Louise avait été forcée de se retirer sans pouvoir obtenir d’elle un regard ou un mot.

Elle apprit le lendemain que Valentine était mieux, et passa la nuit entière auprès de Bénédict, qui était plus mal ; mais la nuit suivante, ayant appris que Valentine avait eu un redoublement, elle quitta Bénédict au milieu de son paroxysme, et se rendit auprès de sa sœur. Partagée entre ces deux malades, la triste et courageuse Louise s’oubliait elle-même.

Elle trouva le médecin auprès de Valentine. Celle-ci était calme et dormait lorsqu’elle entra. Alors, prenant le docteur à part, elle crut de son devoir de lui ouvrir son cœur, et de confier à sa délicatesse les secrets de ces deux amants, pour le mettre à même d’essayer sur eux un traitement moral plus efficace.

« Vous avez fort bien fait, répondit le médecin, de me confier cette histoire, mais il n’en était pas besoin ; je l’aurais devinée, quand même on ne vous eût pas prévenue. Je comprends fort bien vos scrupules dans la situation délicate où les préjugés et les usages vous rejettent ; mais moi, qui m’applique plus positivement à obtenir des résultats physiques, je me charge de calmer ces deux cœurs égarés, et de guérir l’un par l’autre.

En ce moment Valentine ouvrit les yeux et reconnut sa sœur. Après l’avoir embrassée, elle lui demanda à voix basse des nouvelles de Bénédict. Alors le médecin prit la parole :

— Madame, lui dit-il, c’est moi qui puis vous en donner, puisque c’est moi qui l’ai soigné et qui ai eu le bonheur jusqu’ici de prolonger sa vie. L’ami qui vous inquiète, et qui a des droits à l’intérêt de toute âme noble et généreuse comme la vôtre, est maintenant physiquement hors de danger. Mais le moral est loin d’une aussi rapide guérison, et vous seule pouvez l’opérer.

— Ô mon Dieu ! dit la pâle Valentine en joignant les mains et en attachant sur le médecin ce regard triste et profond que donne la maladie.

— Oui, Madame, reprit-il, un ordre de votre bouche, une parole de consolation et de force, peuvent seuls fermer cette blessure ; elle le serait sans l’affreuse obstination du malade à en arracher l’appareil aussitôt que la cicatrice se forme. Notre jeune ami est atteint d’un profond découragement, Madame, et ce n’est pas moi qui ai des secrets assez puissants pour la douleur morale. J’ai besoin de votre aide, voudrez-vous me l’accorder ?

En parlant ainsi, le bon vieux médecin de campagne, obscur savant, qui avait maintes fois dans sa vie étanché du sang et des larmes, prit la main de Valentine avec une affectueuse douceur qui n’était pas sans un mélange d’antique galanterie, et la baisa méthodiquement, après en avoir compté les pulsations.

Valentine, trop faible pour bien comprendre ce qu’elle entendait, le regardait avec une surprise naïve et un triste sourire.

— Eh bien ! ma chère enfant, dit le vieillard, voulez-vous être mon aide-major et venir mettre la dernière main à cette cure ?

Valentine ne répondit que par un signe d’avidité ingénue.

— Demain ? reprit-il.