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sur son lit, roide et froide. En vain Catherine essaya de la réveiller par ses cris et ses caresses : il semblait qu’elle fût morte. La bonne nourrice, en voulant ouvrir ses mains contractées, y trouva une lettre froissée. Elle ne savait pas lire, mais elle avait l’instinct du cœur qui avertit des dangers de la personne qu’on aime ; elle lui retira cette lettre et la cacha avec soin avant d’appeler du secours.

Bientôt la chambre de Valentine fut pleine de monde ; mais tous les efforts furent vains pour la ranimer. Un médecin qu’on fit venir promptement lui trouva une congestion cérébrale très-grave, et parvint, à force de saignées, à rappeler la circulation ; mais les convulsions succédèrent à cet état d’accablement, et pendant huit jours Valentine fut entre la vie et la mort.

La nourrice se garda bien de dire la cause de cette funeste émotion ; elle n’en parla qu’au médecin sous le sceau du secret, et voici comment elle fut conduite à comprendre qu’il y avait dans tous ces événements une liaison qu’il était nécessaire de ne faire saisir à personne. En voyant Valentine un peu mieux, après la saignée, le jour même de l’événement, elle se mit à réfléchir à la manière surnaturelle dont sa jeune maîtresse en avait été informée. Cette lettre qu’elle avait trouvée dans sa main lui rappela le billet qu’on l’avait chargée de lui remettre la veille, avant le mariage, et qui lui avait été confié par la vieille gouvernante de Bénédict. Étant descendue un instant à l’office, elle entendit le domestique commenter la cause de ce suicide, et se dire tout bas que, dans la soirée précédente, une querelle avait eu lieu entre Pierre Blutty et Bénédict, au sujet de mademoiselle de Raimbault. On ajoutait que Bénédict vivait encore, et que le même médecin qui soignait dans ce moment Valentine, ayant pansé le blessé dans la matinée, avait refusé de se prononcer positivement sur sa situation. Une balle avait fracassé le front et était ressortie au-dessus de l’oreille ; cette blessure-là, quoique grave, n’était peut-être point mortelle ; mais on ignorait de combien de balles était chargé le pistolet. Il se pouvait qu’il y en eût une seconde logée dans l’intérieur du crâne, et, en ce cas, le répit qu’éprouvait en ce moment le moribond ne pouvait servir qu’à prolonger ses souffrances.

Aux yeux de Catherine, il devait donc être prouvé que cette catastrophe et les chagrins qui l’avaient précédée avaient une influence directe sur l’état effrayant de Valentine. Cette bonne femme s’imagina qu’un rayon d’espérance, si faible qu’il fût, devait produire plus d’effet sur son mal que tous les secours de la médecine. Elle courut à la chaumière de Bénédict, qui n’était qu’à une demi-lieue du château, et s’assura par elle-même qu’il y avait encore chez cet infortuné un souffle de vie. Beaucoup de voisins, attirés par la curiosité plus que par l’intérêt, encombraient sa porte ; mais le médecin avait ordonné qu’on laissât entrer peu de monde, et M. Lhéry, qui était installé au chevet du mourant, ne reçut Catherine qu’après beaucoup de difficultés. Madame Lhéry ignorait encore cette triste nouvelle ; elle était allée faire le retour de noces de sa fille à la ferme de Pierre Blutty.

Catherine, après avoir examiné le malade et recueilli l’opinion de Lhéry, s’en retourna aussi peu fixée qu’auparavant sur les véritables suites de la blessure, mais complètement éclairée sur les causes du suicide. Par une circonstance particulière, au moment où elle sortait de cette maison, elle tressaillit en jetant les yeux sur une chaise où l’on avait déposé les vêtements ensanglantés de Bénédict. Comme il arrive toujours que nos regards s’arrêtent, en dépit de nous, sur un objet d’effroi ou de dégoût, ceux de Catherine ne purent se détacher de cette chaise, et y découvrirent un mouchoir de soie des Indes, horriblement taché de sang. Aussitôt elle reconnut le foulard qu’elle avait mis elle-même autour du cou de Valentine en la voyant sortir dans la soirée qui précéda le mariage, et qu’elle avait perdu dans sa promenade au bout de la prairie. Ce fut un trait de lumière irrécusable ; elle choisit donc un moment où l’on ne faisait point attention à elle pour s’emparer de ce mouchoir, qui eût pu compromettre Valentine, et pour le cacher dans sa poche.

De retour au château, elle se hâta de le serrer dans sa chambre et ne songea plus à s’en occuper. Elle essaya, dans les rares instants où elle se trouva seule avec Valentine, de lui faire comprendre que Bénédict pouvait être sauvé ; mais ce fut en vain. Les facultés morales semblaient complètement épuisées chez Valentine ; elle ne soulevait même plus ses paupières pour reconnaître la personne qui lui parlait. S’il lui restait une pensée, c’était la satisfaction de se voir mourir.

Huit jours s’étaient ainsi passés. Il y eut alors un mieux sensible ; Valentine parut retrouver la mémoire, et se soulagea par d’abondantes larmes. Mais comme on ne put jamais lui faire dire le motif de cette douleur, on pensa qu’il y avait encore de l’égarement dans son cerveau. La nourrice seule guettait un instant favorable pour parler ; mais M. de Lansac, étant à la veille de