Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/89

Cette page n’a pas encore été corrigée

joie ne rendrait pas plus odieuse ensuite la nécessité de mourir. Il s’abandonna au délire qu’un tel triomphe sur sa destinée lui causait. Il mit ses deux mains sur sa poitrine pour en maîtriser les ardentes palpitations. Mais au moment de se trahir par ses transports, il s’arrêta, dominé par la crainte d’offenser Valentine, par cette timidité respectueuse et chaste qui est le principal caractère du véritable amour.

Irrésolu, le cœur plein d’angoisses et d’impatiences, il allait se déterminer, lorsqu’elle sonna, et au bout d’un instant Catherine reparut.

— Bonne nourrice, lui dit-elle, tu ne m’as pas donné ma potion.

— Ah ! votre portion ? dit la bonne femme ; je pensais que vous ne la prendriez pas aujourd’hui. Je vais la préparer.

— Non, cela serait trop long. Fais dissoudre un peu d’opium dans de l’eau de fleurs d’orange.

— Mais cela pourra vous faire mal ?

— Non ; jamais l’opium ne peut faire de mal dans l’état où je suis.

— Je n’en sais rien, moi. Vous n’êtes pas médecin ; voulez-vous que j’aille demander à madame la marquise ?

— Oh ! pour Dieu, ne fais pas cela ! Ne crains donc rien. Tiens, donne-moi la boîte ; je sais la dose.

— Oh ! vous en mettez deux fois trop.

— Non, te dis-je ; puisqu’il m’est enfin accordé de dormir, je veux pouvoir en profiter. Pendant ce temps-là je ne penserai pas.

Catherine secoua la tête d’un air triste, et délaya une assez forte dose d’opium que Valentine avala à plusieurs reprises en se déshabillant, et, quand elle fut enveloppée de son peignoir, elle congédia de nouveau sa nourrice et se mit au lit.

Bénédict, enfoncé dans sa cachette, n’avait pas osé faire un mouvement. Cependant la crainte d’être aperçu par la nourrice était bien moins forte que celle qu’il éprouva en se retrouvant seul avec Valentine. Après un terrible combat avec lui-même, il se hasarda à soulever doucement le rideau. Le frôlement de la soie n’éveilla point Valentine ; l’opium faisait déjà son effet. Cependant Bénédict crut qu’elle entr’ouvrait les yeux. Il eut peur, et laissa retomber le rideau, dont la frange entraîna un flambeau de bronze placé sur le guéridon, et le fit tomber avec assez de bruit. Valentine tressaillit, mais ne sortit point de sa léthargie. Alors Bénédict resta debout auprès d’elle, plus libre encore de la contempler qu’au jour où il avait adoré son image répétée dans l’eau. Seul à ses pieds dans ce solennel silence de la nuit, protégé par ce sommeil artificiel qu’il n’était pas en son pouvoir de rompre, il croyait accomplir une destinée magique. Il n’avait plus rien à craindre de sa colère ; il pouvait s’enivrer du bonheur de la voir sans être troublé dans sa joie ; il pouvait lui parler sans qu’elle l’entendît, lui dire tout son amour, tous ses tourments, sans faire évanouir ce faible et mystérieux sourire qui errait sur ses lèvres à demi entr’ouvertes. Il pouvait coller ses lèvres sur sa bouche sans qu’elle le repoussât… Mais l’impunité ne l’enhardit point jusque-là. C’est dans son cœur que Valentine avait un culte presque divin, et elle n’avait pas besoin de protections extérieures contre lui. Il était sa sauvegarde et son défenseur contre lui-même. Il s’agenouilla devant elle, et se contenta de prendre sa main pendante au bord du lit, de la soutenir dans les siennes, d’en admirer la finesse et la blancheur, et d’y appuyer ses lèvres tremblantes. Cette main