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et la ferveur, la force qui lui manquait pour revenir au sentiment de son devoir. Mais ces méditations ascétiques fatiguaient de plus en plus son cerveau, et donnaient plus d’intensité à la puissance que Bénédict exerçait sur son âme. Elle sortait de là plus épuisée, plus tourmentée que jamais. Sa mère s’étonnait de sa tristesse, s’en offensait sérieusement, et l’accusait de vouloir jeter de la contrariété sur ce moment si doux, disait-elle, au cœur d’une mère. Il est certain que tous ces embarras ennuyaient mortellement madame de Raimbault. Elle avait voulu, pour les diminuer, que la noce se fît sans éclat et sans luxe à la campagne. Tels qu’ils étaient, il lui tardait beaucoup d’en être dégagée, et de se trouver libre de rentrer dans le monde, où la présence de Valentine l’avait toujours extraordinairement gênée.

Bénédict roulait dans sa tête mille absurdes projets. Le dernier auquel il s’arrêta, et qui mit un peu de calme dans ses idées, fut de voir Valentine une fois avant d’en finir pour jamais avec elle ; car il se flattait presque de ne l’aimer plus quand elle aurait subi les embrassements de M. de Lansac. Il espéra que Valentine le calmerait par des paroles de consolation et de bonté, ou qu’elle le guérirait par la pruderie d’un refus.

Il lui écrivit :

« MADEMOISELLE,

Je suis votre ami à la vie et à la mort, vous le savez ; vous m’avez appelé votre frère, vous avez imprimé sur mon front un témoignage sacré de votre estime et de votre confiance. Vous m’avez fait espérer, dès cet instant, que je trouverais en vous un conseil et un appui dans les circonstances difficiles de ma vie. Je suis horriblement malheureux ; j’ai besoin de vous voir un instant, de vous demander du courage, à vous si forte et si supérieure. Il est impossible que vous me refusiez cette faveur. Je connais votre générosité, votre mépris des sottes convenances et des dangers quand il s’agit de faire du bien. Je vous ai vue auprès de Louise ; je sais ce que vous pouvez. C’est au nom d’une amitié aussi sainte, aussi pure que la sienne, que je vous prie à genoux d’aller vous promener ce soir au bout de la prairie.

« BÉNÉDICT. »



XX.

Valentine aimait Bénédict, elle ne pouvait pas résister à sa demande. Il y a tant d’innocence et de pureté dans le premier amour de la vie, qu’il se méfie peu des dangers qui sont en lui. Valentine se refusait à pressentir la cause des chagrins de Bénédict ; elle le voyait malheureux, et elle eût admis les plus invraisemblables infortunes plutôt que de s’avouer celle qui l’accablait. Il y a des routes si trompeuses et des replis si multipliés dans la plus pure conscience ! Comment la femme jetée, avec une âme impressionnable, dans la carrière ardue et rigide des devoirs impossibles, pourrait-elle résister à la nécessité de transiger à chaque instant avec eux ? Valentine trouva aisément des motifs pour croire Bénédict atteint d’un malheur étranger à elle. Souvent Louise lui avait dit, dans les derniers temps, que ce jeune homme l’affligeait par sa tristesse et par son incurie de l’avenir ; elle avait aussi parlé de la nécessité où il serait bientôt de quitter la famille Lhéry, et Valentine se persuadait que, jeté sans fortune et sans appui dans le monde, il pouvait avoir besoin de sa protection et de ses conseils.

Il était assez difficile de s’échapper la veille même de son mariage, obsédée comme elle l’était des attentions et des petits soins de M. de Lansac. Elle y réussit cependant en priant sa nourrice de dire qu’elle était couchée si on la demandait, et pour ne pas perdre de temps, pour ne pas revenir sur une résolution qui commençait à l’effrayer, elle traversa rapidement la prairie. La lune était alors dans son plein ; on voyait aussi nettement les objets que dans le jour.

Elle trouva Bénédict debout, les bras croisés sur sa poitrine, dans une immobilité qui lui fit peur. Comme il ne faisait pas un mouvement pour venir à sa rencontre, elle crut un instant que ce n’était pas lui et fut sur le point de fuir. Alors il vint à elle. Sa figure était si altérée, sa voix si éteinte, que Valentine, accablée par ses propres chagrins et par ceux dont elle voyait la trace chez lui, ne put retenir ses larmes, et fut forcée de s’asseoir.

Ce fut fait des résolutions de Bénédict. Il était venu en ce lieu, déterminé à suivre religieusement la marche qu’il s’était tracée dans son billet, il voulait entretenir Valentine de sa séparation d’avec les Lhéry, de ses incertitudes pour le choix d’un état, de son isolement, de tous les prétextes étrangers à son vrai but. Ce but était de voir Valentine, d’entendre le son de sa voix, de trouver dans ses dispositions envers lui le courage de vivre ou de mourir. Il s’attendait à la trouver grave, réservée, à la voir armée de tout le sentiment de ses devoirs. Il y a plus, il s’attendait presque à ne pas la voir du tout.

Quand il l’aperçut au fond de la prairie, accourant vers lui de toute sa vitesse ; quand elle se laissa tomber haletante et accablée sur le gazon ; quand sa douleur s’exprima en dépit d’elle-même par des larmes, Bénédict crut rêver. Oh ! ce n’était pas là de la compassion seulement,