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briller la lampe qui éclairait son appartement. Une fois, Valentine s’étant hasardée à aller voir lever le soleil au bout de la prairie, à l’endroit où elle avait reçu le premier rendez-vous de Louise, elle trouva Bénédict assis à cette même place où elle s’était assise ; mais dès qu’il l’aperçut, il s’enfuit en feignant de ne pas la voir, car il ne se sentait pas la force de lui parler sans trahir ses agitations.

Une autre fois, comme elle errait dans le parc à l’entrée de la nuit, elle entendit à plusieurs reprises le feuillage s’agiter autour d’elle, et quand elle se fut éloignée du lieu où elle avait éprouvé cette frayeur, elle vit de loin un homme qui traversait l’allée, et qui avait la taille et le costume de Bénédict.

Il détermina Louise à demander un nouveau rendez vous à sa sœur. Il l’accompagna comme la première fois, et se tint à distance pendant qu’elles causaient ensemble. Quand Louise le rappela, il s’approcha dans un trouble inexprimable.

— Eh bien ! mon cher Bénédict, lui dit Valentine qui avait rassemblé tout son courage pour cet instant, voici la dernière fois que nous nous verrons d’ici à longtemps peut-être. Louise vient de m’annoncer son prochain départ et le vôtre.

— Le mien ! dit Bénédict avec amertume. Pourquoi le mien, Louise ? Qu’en savez-vous ?

Il sentit tressaillir la main de Valentine, que dans l’obscurité il avait gardée entre les siennes.

— N’êtes-vous pas décidé, répondit Louise, à ne pas épouser votre cousine, du moins pour cette année ? Et votre intention n’est-elle pas de vous établir dès lors dans une situation indépendante !

— Mon intention est de ne jamais épouser personne, répondit-il d’un ton dur et énergique. Mon intention est aussi de ne demeurer à la charge de personne ; mais il n’est pas prouvé que mon intention soit de quitter le pays.

Louise ne répondit rien et dévora des larmes que l’on ne pouvait voir couler. Valentine pressa faiblement la main de Bénédict afin de pouvoir dégager la sienne, et ils se séparèrent plus émus que jamais.

Cependant on faisait au château les apprêts du mariage de Valentine. Chaque jour apportait de nouveaux présents de la part du fiancé ; il devait arriver lui-même aussitôt que les devoirs de sa charge le permettraient, et la cérémonie était fixée au surlendemain ; car M. de Lansac, le précieux diplomate, avait bien peu de temps à perdre à l’action futile d’épouser Valentine.

Un dimanche, Bénédict avait conduit en carriole sa tante et sa cousine à la messe, au plus gros bourg de la vallée. Athénaïs, jolie et parée, avait retrouvé tout l’éclat de son teint, toute la vivacité de ses yeux noirs. Un grand gars de cinq pieds six pouces, que le lecteur a déjà vu sous le nom de Pierre Blutty, avait accosté les dames de Grangeneuve, et s’était placé dans le même banc, à côté d’Athénaïs. C’était une évidente manifestation de ses prétentions auprès de la jeune fermière, et l’attitude insouciante de Bénédict, appuyé à quelque distance contre un pilier, fut pour tous les observateurs de la contrée un signe non équivoque de rupture entre lui et sa cousine. Déjà Moret, Simonneau et bien d’autres s’étaient mis sur les rangs ; mais Pierre Blutty avait été le mieux accueilli.

Quand le curé monta en chaire pour faire le prône, et que sa voix cassée et chevrotante rassembla toute sa force pour énoncer les noms de Louise-Valentine de Raimbault et de Norbert-Évariste de Lansac, dont la seconde et dernière publication s’affichait ce jour même aux portes de la mairie, il y eut sensation dans l’auditoire, et Athénaïs échangea avec son nouvel adorateur un regard de satisfaction et de malice ; car l’amour ridicule de Bénédict pour mademoiselle de Raimbault n’était point un secret pour Pierre Blutty ; Athénaïs, avec sa légèreté accoutumée, s’était livrée au plaisir d’en médire avec lui, afin peut-être de s’encourager à la vengeance. Elle se hasarda même à se retourner doucement pour voir l’effet de cette publication sur son cousin, mais, de rouge et triomphante qu’elle était, elle devint pâle et repentante quand elle eut envisagé les traits bouleversés de Bénédict.



XIX.

Louise, en apprenant l’arrivée de M. de Lansac, écrivit une lettre d’adieu à sa sœur, lui exprima dans les termes les plus vifs sa reconnaissance pour l’amitié qu’elle lui avait témoignée, et lui dit qu’elle allait attendre à Paris l’effet des bonnes intentions de M. de Lansac pour leur rapprochement. Elle la suppliait de ne point brusquer cette demande, et d’attendre que l’amour de son mari eût consolidé le succès qu’elle devait en attendre.

Après avoir fait passer cette lettre à Valentine par l’intermédiaire d’Athénaïs, qui alla en même temps faire part à la jeune comtesse de son prochain mariage avec Pierre Blutty, Louise fit les apprêts de son voyage. Effrayée de l’air sombre et de la taciturnité presque brutale de Bénédict, elle n’osa chercher un dernier entretien avec lui. Mais le matin même de son départ, il vint la trouver dans sa chambre, et, sans avoir