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éleva en elle comme un sentiment de tristesse et de remords. Elle hésita quelques instants à la lire, et, dès les premières lignes, elle tomba dans une si grande distraction qu’elle la lut des yeux jusqu’à la fin sans en avoir compris un mot, et sans avoir pensé à autre chose qu’à Louise, à Bénédict, au bord de l’eau et à l’oseraie de la prairie. Elle se fit un nouveau reproche de cette préoccupation, et relut courageusement la lettre du secrétaire d’ambassade. C’était celle qu’il avait faite avec le plus de soin ; malheureusement elle était plus obscure, plus vide et plus prétentieuse que toutes les autres. Valentine fut, malgré elle, pénétrée du froid mortel qui avait présidé à cette composition. Elle se consola de cette impression involontaire en l’attribuant à la fatigue qu’elle éprouvait. Elle se mit au lit, et, grâce au peu d’habitude qu’elle avait de prendre tant d’exercice, elle s’endormit profondément ; mais elle s’éveilla le lendemain toute rouge et toute troublée des songes qu’elle avait faits.

Elle prit sa lettre qu’elle avait laissée sur sa table de nuit, et la relut encore avec la ferveur que met une dévote à recommencer ses prières lorsqu’elle croit les avoir mal dites. Mais ce fut en vain ; au lieu de l’admiration qu’elle avait jusque-là éprouvée pour ces lettres, elle n’eut que de l’étonnement et quelque chose qui ressemblait à de l’ennui ; elle se leva effrayée d’elle-même et toute pâlie de la fatigue d’esprit qu’elle en ressentait.

Alors, comme en l’absence de sa mère elle faisait absolument tout ce qui lui plaisait, comme sa grand’mère ne songeait pas même à la questionner sur sa journée de la veille, elle partit pour la ferme, emportant dans un petit coffre de bois de cèdre toutes les lettres qu’elle avait reçues de M. de Lansac depuis un an, et se flattant qu’à la lecture de ces lettres l’admiration de Louise raviverait la sienne.

Il serait peut-être téméraire d’affirmer que ce fût là l’unique motif de cette nouvelle visite à la ferme ; mais si Valentine en eut un autre, ce fut certainement à l’insu d’elle-même. Quoi qu’il en soit, elle trouva Louise toute seule. Sur la demande d’Athénaïs, qui avait voulu s’éloigner pour quelques jours de son cousin, madame Lhéry était partie avec sa fille pour aller rendre visite dans les environs à une de ses parentes, Bénédict était à la chasse, et le père Lhéry aux travaux des champs.

Valentine fut effrayée de l’altération des traits de sa sœur. Celle-ci donna pour excuse l’indisposition d’Athénaïs, qui l’avait forcée de veiller. Elle sentit d’ailleurs sa peine s’adoucir aux tendres caresses de Valentine, et bientôt elles se mirent à causer avec abandon de leurs projets pour l’avenir. Ceci conduisit Valentine à montrer les lettres de M. de Lansac.

Louise en parcourut quelques-unes, qu’elle trouva d’un froid mortel et d’un ridicule achevé. Elle jugea sur-le-champ le cœur de cet homme, et devina fort bien que ses intentions bienveillantes, relativement à elle, méritaient une médiocre confiance. La tristesse qui l’accablait redoubla par cette découverte, et l’avenir de sa sœur lui parut aussi triste que le sien ; mais elle n’osa en rien témoigner à Valentine. La veille, peut-être, elle se fût senti le courage de l’éclairer ; mais, après les aveux de Bénédict, Louise, qui peut-être soupçonnait Valentine de l’encourager un peu, n’osa pas l’éloigner d’un mariage qui devait du moins la soustraire aux dangers de cette situation. Elle ne se prononça pas, et la pria de lui laisser ces