Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/66

Cette page n’a pas encore été corrigée

dans ses idées, elle s’endormit bientôt, et Louise, dont le cœur était bien plus profondément ébranlé, attendit, les yeux ouverts, que les premières lueurs du matin eussent blanchi l’horizon. Alors elle entendit Bénédict, qui ne dormait pas non plus, entr’ouvrir doucement la porte de sa chambre et descendre l’escalier. Elle le suivit sans éveiller personne, et tous deux, s’étant abordés d’un air plus grave que de coutume, s’enfoncèrent dans une allée du jardin qui commençait à se remplir de rosée.





XVI


Louise était assez embarrassée pour aborder une question si délicate, lorsque Bénédict, prenant le premier la parole, lui dit d’un ton ferme :

— Mon amie, je sais de quoi vous allez me parler. Nos cloisons de bois de chêne ne sont pas tellement épaisses, la nuit n’est pas tellement bruyante autour de cette demeure, et mon sommeil n’était pas tellement profond, que j’aie perdu un seul mot de votre entretien avec ma cousine. La confession que je me proposais de vous faire serait donc parfaitement inutile à présent, puisque vous êtes aussi bien informée que moi-même de l’état de mon cœur.

Louise s’arrêta et le regarda en face pour savoir s’il ne raillait point ; mais l’expression de son visage était si parfaitement calme qu’elle resta stupéfaite.

— Je sais que vous maniez la plaisanterie avec un admirable sang-froid, lui répondit-elle ; mais je vous supplie de me parler sérieusement. Il ne s’agit point ici de sentiments dont vous ayez le droit de vous faire un jeu.

— À Dieu ne plaise ! dit Bénédict avec force ; il s’agit de l’affection la plus importante et la plus sacrée de ma vie. Athénaïs vous l’a dit, et j’en jure sur mon honneur, j’aime Valentine de toutes les puissances de mon âme.

Louise joignit les mains d’un air atterré, et s’écria en levant les yeux au ciel :

— Quelle insigne folie !

— Pourquoi ? reprit Bénédict en attachant sur elle ce regard fixe qui renfermait tant d’autorité.

— Pourquoi ? répéta Louise ; vous me le demandez ! Mais, Bénédict, êtes-vous sous la puissance d’un rêve, ou moi-même ne suis-je pas bien éveillée ? Vous aimez ma sœur, vous me le dites ; et qu’espérez-vous donc d’elle, grand Dieu ?

— Ce que j’espère ?… le voici, répondit-il : j’espère l’aimer toute ma vie.

— Et vous pensez peut-être qu’elle vous le permettra ?

— Qui sait ?… peut-être.

— Mais vous n’ignorez pas qu’elle est riche, qu’elle est d’une haute naissance…

— Elle est, comme vous, fille du comte de Raimbault, et j’ai bien osé vous aimer ! Est-ce donc parce que je suis le fils du paysan Lhéry que vous m’avez repoussé ?

— Non, certes, répondit Louise, qui devint pâle comme la mort ; mais Valentine n’a pas vingt ans, et en supposant qu’elle n’eût pas les préjugés de la naissance…

— Elle ne les a pas, interrompit Bénédict.

— Comment le savez-vous ?

— Comme vous le savez vous-même. Notre connaissance avec Valentine date de la même époque, ce me semble.

— Mais oubliez-vous qu’elle dépend d’une mère vaine et inflexible, d’un monde qui ne l’est pas moins ? qu’elle est fiancée à M. de Lansac ? qu’elle ne peut enfin rompre les liens qui l’enchaînent à ses devoirs sans attirer sur elle les malédictions de sa famille, le mépris de sa caste, et sans détruire à jamais le repos de toute sa vie ?

— Comment ne saurais-je pas tout cela ?