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XIII


Elle avait trouvé moyen, la veille, de faire avertir Louise de sa visite ; aussi toute la ferme était en joie et en ordre pour la recevoir. Athénaïs avait mis des fleurs nouvelles dans des vases de verre bleu. Bénédict avait taillé les arbres du jardin, ratissé les allées, réparé les bancs. Madame Lhéry avait confectionné elle-même la plus belle galette qui se fût vue de mémoire de ménagère. M. Lhéry avait fait sa barbe et tiré le meilleur de son vin. Ce furent des cris de joie et de surprise quand Valentine entra toute seule et sans bruit dans la salle. Elle embrassa comme une folle la mère Lhéry, qui lui faisait de grandes révérences ; elle serra la main de Bénédict avec vivacité ; elle folâtra comme un enfant avec Athénaïs ; elle se pendit au cou de sa sœur. Jamais Valentine ne s’était sentie si heureuse ; loin des regards de sa mère, loin de la roideur glaciale qui pesait sur tous ses pas, il lui semblait respirer un air plus libre, et, pour la première fois depuis qu’elle était née, vivre de toute sa vie. Valentine était une bonne et douce nature ; le ciel s’était trompé en envoyant cette âme simple et sans ambition habiter les palais et respirer l’atmosphère des cours. Nulle n’était moins faite pour la vie d’apparat, pour les triomphes de la vanité. Ses plaisirs étaient, au contraire, tout modestes, tout intérieurs ; et plus on lui faisait un crime de s’y livrer, plus elle aspirait à cette simple existence qui lui semblait être la terre promise. Si elle désirait se marier, c’était afin d’avoir un ménage, des enfants, une vie retirée. Son cœur avait besoin d’affections immédiates, peu nombreuses, peu variées. À nulle femme la vertu ne semblait devoir être plus facile.

Mais le luxe qui l’environnait, qui prévenait ses moindres besoins, qui devinait jusqu’à ses fantaisies, lui interdisait les petits soins du ménage. Avec vingt laquais autour d’elle, c’eût été un ridicule et presque une apparence de parcimonie que de se livrer à l’activité de la vie domestique. À peine lui laissait-on le soin de sa volière, et l’on eût pu facilement préjuger du caractère de Valentine en voyant avec quel amour elle s’occupait minutieusement de ces petites créatures.

Lorsqu’elle se vit à la ferme, entourée de poules, de chiens de chasse, de chevreaux ; lorsqu’elle vit Louise filant au rouet, madame Lhéry faisant la cuisine, Bénédict raccommodant des filets, il lui sembla être là dans la sphère pour laquelle elle était créée. Elle voulut aussi avoir son occupation, et, à la grande surprise d’Athénaïs, au lieu d’ouvrir le piano ou de lui demander une bande de sa broderie, elle se mit à tricoter un bas gris qu’elle trouva sur une chaise. Athénaïs s’étonna beaucoup de sa dextérité, et lui demanda si elle savait pour qui elle travaillait avec tant d’ardeur.