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Elle se flatta même en secret de rentrer en faveur, si elle pouvait fixer l’attention de la duchesse, et lui faire voir combien elle était supérieure, pour le ton et l’usage, à tout ce qui l’entourait. D’ailleurs, sa fille allait épouser M. de Lansac, un des favoris de la cause légitime. Il était bien temps de faire un pas vers cette aristocratie de nom qui allait relustrer son aristocratie d’argent. Madame de Raimbault ne haïssait la noblesse que depuis que la noblesse l’avait repoussée. Peut-être le moment était-il venu de voir toutes ces vanités s’humaniser pour elle à un signe de Madame.

Elle exhuma donc du fond de sa garde-robe ses plus riches parures, tout en réfléchissant à celles dont elle couvrirait Valentine pour l’empêcher d’avoir l’air aussi grande et aussi formée qu’elle l’était réellement. Mais, au milieu de cet examen, il arriva que Valentine, désirant mettre à profit cette semaine de liberté, devint plus ingénieuse et plus pénétrante qu’elle ne l’avait encore été. Elle commença à deviner que sa mère élevait ces graves questions de toilette et créait ces insolubles difficultés pour l’engager à rester au château. Quelques mots piquants de la vieille marquise, sur l’embarras d’avoir une fille de dix-neuf ans à produire, achevèrent d’éclairer Valentine. Elle s’empressa de faire le procès aux modes, aux fêtes, aux déplacements et aux préfets. Sa mère, étonnée, abonda dans son sens, et lui proposa de renoncer à ce voyage comme elle y renonçait elle-même. L’affaire fut bientôt jugée ; mais une heure après, comme Valentine serrait ses cartons et arrêtait ses préparatifs, madame de Raimbault recommença les siens en disant qu’elle avait réfléchi, qu’il serait inconvenant et dangereux peut-être de ne pas aller faire sa cour à la princesse ; qu’elle se sacrifiait à cette démarche toute politique, mais qu’elle dispensait Valentine de la corvée.

Valentine, qui depuis huit jours était devenue singulièrement rusée, renferma sa joie.

Le lendemain, dès que les roues qui emportaient la calèche de la comtesse eurent rayé le sable de l’avenue, Valentine courut demander à sa grand’mère la permission d’aller passer la journée à la ferme avec Athénaïs.

Elle se prétendit invitée par sa jeune compagne à manger un gâteau sur l’herbe. À peine eut-elle parlé de gâteau qu’elle frémit, car la vieille marquise fut aussitôt tentée d’être de la partie ; mais l’éloignement et la chaleur l’y firent renoncer.

Valentine monta à cheval, mit pied à terre à quelque distance de la ferme, renvoya son domestique et sa monture, et prit sa volée, comme une tourterelle, le long des buissons fleuris qui conduisaient à Grangeneuve.