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ans, il est presque de ta taille… Dis, voudras-tu, quand tu seras mariée, que je te le présente ?

Valentine répondit par mille caresses.

Deux heures s’étaient écoulées rapidement, non-seulement à se rappeler le passé, mais encore à faire des projets pour l’avenir. Valentine y portait toute la confiance de son âge ; Louise y croyait moins, mais elle ne le disait pas. Une ombre noire se dessina tout d’un coup dans l’air bleu au-dessus du fossé. Valentine tressaillit et laissa échapper un cri d’effroi. Louise, posant sa main sur la sienne, lui dit :

— Rassure-toi, c’est un ami, c’est Bénédict.

Valentine fut d’abord contrariée de sa présence au rendez-vous. Il semblait que désormais tous les actes de sa vie amenassent un rapprochement forcé entre elle et ce jeune homme. Cependant elle fut forcée de comprendre que son voisinage n’était pas inutile à deux femmes dans cet endroit écarté, et surtout que son escorte devait agréer à Louise, qui était à plus d’une lieue de son gîte. Elle ne put pas non plus s’empêcher de remarquer le sentiment de délicatesse respectueuse qui l’avait fait s’abstenir de paraître durant leur entretien. Ne fallait-il pas du dévouement, d’ailleurs, pour monter ainsi la garde pendant deux heures ? Tout bien considéré, il y aurait eu de l’ingratitude à lui faire un froid accueil. Elle lui expliqua le billet de sa mère, prit tout le tort sur elle, et le supplia de ne venir au château qu’avec une forte dose de patience et de philosophie. Bénédict jura en riant que rien ne l’ébranlerait ; et, après l’avoir reconduite avec Louise jusqu’au bout de la prairie, il reprit avec celle-ci le chemin de la ferme.

Le lendemain il se présenta au château. Par un hasard dont Bénédict ne se plaignait pas, c’était au tour de madame de Raimbault à avoir la migraine ; mais celle-là n’était pas feinte, elle la força de garder le lit. Les choses se passèrent donc mieux que Bénédict ne l’avait espéré. Quand il sut que la comtesse ne se lèverait pas de la journée, il commença par démonter le piano et enlever toutes les touches ; puis il trouva qu’il fallait remettre des buffles à tous les marteaux ; quantité de cordes rouillées étaient à renouveler ; enfin il se créa de l’ouvrage pour tout un jour ; car Valentine était là, lui présentant les ciseaux, l’aidant à rouler le laiton sur la bobine, lui donnant la note au diapason, et s’occupant de son piano peut-être plus ce jour-là qu’elle n’avait fait dans toute sa vie. De son côté, Bénédict était beaucoup moins habile à cette besogne que Valentine ne l’avait annoncé. Il cassa plus d’une corde en la montant, il tourna plus d’une cheville pour une autre, et souvent dérangea l’accord de toute une gamme pour remettre celui d’une note. Pendant ce temps, la vieille marquise allait, venait, toussait, dormait, et ne s’occupait d’eux que pour les mettre plus à l’aise encore. Ce fut une délicieuse journée pour Bénédict. Valentine était si douce, elle avait une gaieté si naïve, si vraie, une politesse si obligeante, qu’il était impossible de ne pas respirer à l’aise auprès d’elle. Et puis je ne sais comment il se fit qu’au bout d’une heure, par un accord tacite, toute politesse disparut entre eux. Une sorte de camaraderie enfantine et rieuse s’établit. Ils se raillaient de leurs mutuelles maladresses, leurs mains se rencontraient sur le clavier, et, la gaieté chassant l’émotion, ils se querellaient comme de vieux amis. Enfin, vers cinq heures, le piano se trouvant accordé, Valentine imagina un moyen de retenir Bénédict. Un peu d’hypocrisie s’improvisa dans ce cœur de jeune fille, et, sachant que sa mère accordait tout à l’extérieur de la déférence, elle se glissa dans son alcôve.

— Maman, lui dit-elle, M. Bénédict a passé six heures à mon piano, et il n’a pas fini ; cependant nous allons nous mettre à table : j’ai pensé qu’il était impossible