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de la circonstance la plus délicate de son secret, voulut en vain insister. M. de Lansac ne voulut rien entendre, et finit par lui persuader qu’elle ne devait rien lui dire.

Le fait est que M. de Lansac était bien né, qu’il occupait de belles fonctions diplomatiques, qu’il était plein d’esprit, de séduction et de ruse ; mais qu’il avait des dettes à payer, et que pour rien au monde il n’eût voulu perdre la main et la fortune de mademoiselle de Raimbault. Dans la crainte continuelle de s’aliéner la mère ou la fille, il transigeait secrètement avec l’une et avec l’autre, il flattait leurs sentiments, leurs opinions, et, peu intéressé dans l’affaire de Louise, il était décidé à n’y intervenir que lorsqu’il deviendrait maître de la terminer à son gré.

Valentine prit sa prudence pour une autorisation tacite, et, se rassurant de ce côté, elle dirigea toutes ses pensées vers l’orage qui allait éclater du côté de sa mère.

La veille au soir, le laquais adroit et bas qui avait déjà insinué quelques soupçons sur l’apparition de Louise dans le pays était entré chez la comtesse, sous le prétexte d’apporter une limonade, et il avait eu avec elle l’entretien suivant.





IX


— Madame m’avait ordonné hier de m’informer de la personne…

— Il suffit. Ne la nommez jamais devant moi. L’avez-vous fait ?

— Oui, Madame, et je crois être sur la voie.

— Parlez donc.

— Je n’oserais pas affirmer à madame que la chose soit aussi certaine que je le désirerais. Mais voici ce que je sais : il y a à la ferme de Grangeneuve, depuis à peu près trois semaines, une femme qui passe pour la nièce du père Lhéry, et qui m’a bien l’air d’être celle que nous cherchons.

— L’avez-vous vue ?

— Non, Madame. D’ailleurs je ne connais pas la personne… et personne ici n’est plus avancé que moi.

— Mais que disent les paysans ?

— Les uns disent que c’est bien la parente des Lhéry ; à preuve, disent-ils, qu’elle n’est pas vêtue comme une demoiselle, et puis, parce qu’elle occupe chez eux une chambre de laboureur. Ils pensent que si c’était mademoiselle… on lui aurait fait une autre réception à la ferme. Les Lhéry lui étaient tout dévoués, comme madame sait.

— Sans doute. La mère Lhéry a été sa nourrice dans un temps où elle était fort heureuse de trouver ce moyen d’existence. Mais que disent les autres ?… Comment se fait-il que pas un ici ne puisse affirmer si cette personne est ou n’est pas celle que tout le monde a vue autrefois ?

— D’abord peu de gens l’ont vue à Grangeneuve, qui est un endroit fort isolé. Elle n’en sort presque pas, et, lorsqu’elle sort, elle est toujours enveloppée d’une mante, parce que, dit-on, elle est malade. Ceux qui l’ont rencontrée l’ont à peine aperçue, et disent qu’il leur est impossible de savoir si la personne fraîche et replète qu’ils ont vue, il y a quinze ans, est la personne maigre et pâle qu’ils voient maintenant. C’est une chose embarrassante à éclaircir, et qui demande beaucoup d’adresse et de persévérance.

— Joseph ! je vous donne cent francs si vous voulez vous en charger.

— Il suffit d’un ordre de madame, répondit le valet d’un air hypocrite. Mais si je n’en viens pas à bout aussi vite que madame le désire, elle voudra bien se rappeler que les paysans d’ici sont rusés, méfiants ; qu’ils ont un fort mauvais esprit, aucun attachement pour leurs anciens devoirs, et qu’ils ne seraient pas fâchés de montrer une opposition quelconque à la volonté de madame…

— Je sais qu’ils ne m’aiment pas, et je m’en félicite. La haine de ces gens-là m’honore au lieu de m’inquiéter. Mais le maire de la commune n’a-t-il point fait amener cette étrangère pour la questionner ?

— Madame sait que le maire est un Lhéry, un cousin de son fermier ; dans cette famille-là, ils sont unis comme les doigts de la main, et ils s’entendent comme larrons en foire…

Joseph sourit de complaisance en se trouvant tant de causticité dans le discours. La comtesse ne daigna pas partager son sentiment ; mais elle reprit :

— Oh ! c’est un grand désagrément que ces fonctions de maire soient remplies par des paysans, à qui elles donnent une certaine autorité sur nous !

— Il faudra, pensa-t-elle, que je m’occupe de faire destituer celui-là, et que mon gendre prenne l’ennui de le remplacer. Il fera faire la besogne par les adjoints.

Puis, revenant tout à coup au sujet de l’entretien par un de ces aperçus clairs et prompts que donne la haine :

— Il y a un moyen, dit-elle : c’est d’envoyer Catherine à la ferme, et de la faire parler.

— La nourrice de mademoiselle !… Oh ! c’est une femme plus rusée que madame ne pense. Peut-être sait-elle déjà fort bien ce qui en est.

— Enfin, il faut trouver un moyen, dit la comtesse avec humeur.

— Si madame me permet d’agir…

— Eh ! certainement !