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baisers, et regretta sincèrement le bonheur qu’elle avait goûté en voyant combien il avait fait souffrir sa mère. La marquise quitta son souper, dissimulant mal la contrariété qu’elle éprouvait, et vint, alerte et vive qu’elle était, tourner autour de sa belle-fille en assurant que ce ne serait rien.

Lorsque la comtesse ouvrit les yeux, elle repoussa rudement Valentine, lui dit qu’elle avait trop à se plaindre d’elle pour agréer ses soins ; et comme la pauvre enfant exprimait sa douleur et demandait son pardon à mains jointes, il lui fut impérieusement ordonné d’aller se coucher sans avoir obtenu le baiser maternel.

La marquise, qui se piquait d’être l’ange consolateur de la famille, s’appuya sur le bras de sa petite-fille pour remonter à sa chambre, et lui dit en la quittant, après l’avoir embrassée au front :

— Allons, ma chère petite, console-toi. Ta mère a un peu d’humeur ce soir, mais ce n’est rien. Ne va pas t’amuser à prendre du chagrin ; tu serais couperosée demain, et cela ne ferait pas les affaires de notre bon Lansac.

Valentine s’efforça de sourire, et quand elle se trouva seule, elle se jeta sur son lit, accablée de chagrin, de bonheur, de lassitude, de crainte, d’espoir, de mille sentiments divers qui se pressaient dans son cœur.

Au bout d’une heure, elle entendit retentir dans le corridor le bruit des bottes éperonnées de M. de Lansac. La marquise, qui ne se couchait jamais avant minuit, l’appela dans sa chambre entr’ouverte, et Valentine, entendant leurs voix mêlées, alla sur-le-champ les rejoindre.

— Ah ! dit la marquise avec cette joie maligne de la vieillesse qui ne respecte aucune des délicatesses de la pudeur parce qu’elle n’en a plus le sentiment, j’étais bien sûre que la friponne, au lieu de dormir, attendait le retour de son fiancé, le cœur agité, l’oreille au guet ! Allons, allons, mes enfants, je crois qu’il est temps de vous marier.

Rien n’allait si mal que cette idée à l’attachement calme et digne que Valentine éprouvait pour M. de Lansac. Elle rougit de mécontentement ; mais la physionomie respectueuse et douce de son fiancé la rassura.

— Je n’ai pas pu dormir en effet, lui dit-elle, avant de vous avoir demandé pardon de toute l’inquiétude que je vous ai causée.

— On aime, des personnes qui nous sont chères, répondit M. de Lansac avec une grâce parfaite, jusqu’aux tourments qu’elles nous causent.

Valentine se retira confuse et agitée. Elle sentit qu’elle avait de grands torts involontaires envers M. de Lansac, et sa conscience s’impatientait d’avoir encore quelques heures à attendre pour lui en faire l’aveu. Si elle avait eu moins de délicatesse et plus de connaissance du monde, elle se fût bien gardée de faire cette confession.

M. de Lansac avait, dans l’aventure de la soirée, joué le rôle le plus déplaisant, et, quelle que fût la candeur de Valentine, il eût peut-être semblé difficile à cet homme du monde de pardonner bien sincèrement à sa fiancée l’espèce de pacte fait avec un autre pour le tromper. Mais Valentine rougissait de rester complice d’un mensonge envers celui qui allait être son époux.

Le lendemain, dès le matin, elle courut le rejoindre au salon.

— Évariste, lui dit-elle en allant droit au but, j’ai sur le cœur un secret qui me pèse ; il faut que je vous le dise. Si je suis coupable, vous me blâmerez, mais au moins vous ne me reprocherez pas d’avoir manqué de loyauté.

— Eh ! mon Dieu ! ma chère Valentine, vous me faites frémir ! Où voulez-vous arriver avec ce préambule solennel ? Songez dans quelle position nous nous trouvons !… Non, non, je ne veux rien entendre. C’est aujourd’hui que je vous quitte pour aller à mon poste attendre tristement la fin de l’éternel mois qui s’oppose à mon bonheur, et je ne veux pas attrister ce jour déjà si triste par une confidence qui semble vous être pénible. Quoi que vous ayez à me dire, quoi que vous ayez fait de criminel, je vous absous. Allez, Valentine, votre âme est trop belle, votre vie est trop pure pour que j’aie l’insolence de vouloir vous confesser.

— Cette confidence ne vous attristera pas, répondit Valentine en retrouvant toute sa confiance dans la raison de M. de Lansac. Au contraire, lorsque même vous m’accuseriez d’avoir agi avec précipitation, vous vous réjouiriez encore avec moi, j’en suis sûre, d’un événement qui me comble de joie. J’ai retrouvé ma sœur…

— Taisez-vous, dit vivement M. de Lansac en affectant une terreur comique. Ne prononcez pas ce nom ici ! Votre mère a des doutes qui déjà la mettent au désespoir. Que serait-ce, grand Dieu ! si elle savait où vous en êtes ? Croyez-moi, ma chère Valentine, gardez ce secret bien avant dans votre cœur, et n’en parlez pas même à moi. Vous m’ôteriez par là tous les moyens de conviction que mon air d’innocence doit me donner auprès de votre mère. Et puis, ajouta-t-il en souriant d’un air qui ôtait à ses paroles toute la rigidité de leur sens, je ne suis pas encore assez votre maître, c’est-à-dire votre protecteur, pour me croire bien fondé à autoriser un acte de rébellion ouverte contre la volonté maternelle. Attendez un mois. Cela vous semblera bien moins long qu’à moi.

Valentine, qui tenait à dégager sa conscience