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tu oublieras tes malheurs en les répandant dans mon sein. Tu élèveras mes enfants si j’ai le bonheur d’être mère ; nous croirons revivre en eux… Je sécherai toutes tes larmes, je consacrerai ma vie à réparer toutes les souffrances de la tienne.

— Sublime enfant, cœur d’ange ! dit Louise en pleurant de joie ; ce jour les efface toutes. Va, je ne me plaindrai pas du sort qui m’a donné un tel instant de joie ineffable ! N’as-tu pas adouci déjà pour moi les années d’exil ? Tiens, vois ! dit-elle en prenant sous son chevet un petit paquet soigneusement enveloppé d’un carré de velours, reconnais-tu ces quatre lettres ? C’est toi qui me les as écrites à diverses époques de notre séparation. J’étais en Italie quand j’ai reçu celle-ci ; tu n’avais pas dix ans.

— Oh ! je m’en souviens bien ! dit Valentine ; j’ai les vôtres aussi. Je les ai tant relues, tant baignées de mes larmes ! Celle-là, tenez, je vous l’ai écrite du couvent. Comme j’ai tremblé, comme j’ai tressailli de peur et de joie, quand une femme que je ne connaissais pas me remit la vôtre au parloir ! Elle me la glissa avec un signe d’intelligence, en me donnant des friandises qu’elle feignait d’apporter de la part de ma grand’mère. Et quand, deux ans après, étant aux environs de Paris, j’aperçus contre la grille du jardin, une femme qui avait l’air de demander l’aumône, quoique je ne l’eusse vue qu’une seule fois, qu’un seul instant, je la reconnus tout de suite. Je lui dis : « Vous avez une lettre pour moi ? — Oui, me dit-elle, et je viendrai chercher la réponse demain. » Alors je courus m’enfermer dans ma chambre ; mais on m’appela, on me surveilla tout le reste de la journée. Le soir, ma gouvernante resta auprès de mon lit à travailler jusqu’à près de minuit. Il fallut que je feignisse de dormir tout ce temps ; et quand elle me laissa pour passer dans sa chambre, elle emporta la lumière. Avec combien de peine et de précautions je parvins à me procurer une allumette, un flambeau, et tout ce qu’il fallait pour écrire, sans faire de bruit, sans éveiller ma surveillante ! J’y réussis cependant  ; mais je laissai tomber quelques gouttes d’encre sur mon drap, et le lendemain je fus questionnée, menacée, grondée ! Avec quelle impudence je sus mentir ! comme je subis de bon cœur la pénitence qui me fût infligée ! La vieille femme revint et demanda à me vendre un petit chevreau. Je lui remis la lettre, et j’élevai la chèvre. Quoi qu’elle ne vînt pas directement de vous, je l’aimais à cause de vous. Ô Louise ! je vous dois peut-être de n’avoir pas un mauvais cœur  ; on a tâché de dessécher le mien de bonne heure ; on a tout fait pour éteindre le germe de ma sensibilité  ; mais votre image chérie, vos tendres caresses, votre bonté pour moi, avaient laissé dans ma mémoire des traces ineffaçables. Vos lettres vinrent réveiller en moi le sentiment de reconnaissance que vous y aviez laissé  ; ces quatre lettres marquèrent quatre époques bien senties dans ma vie ; chacune d’elles m’inspira plus fortement la volonté d’être bonne, la haine de l’intolérance, le mépris des préjugés, et j’ose dire que chacune d’elles marqua un progrès dans mon existence morale. Louise, ma sœur, c’est vous qui réellement m’avez élevée jusqu’à ce jour.

— Tu es un ange de candeur et de vertu, s’écria Louise  ; c’est moi qui devrais être à tes genoux…

— Eh  ! vite, cria la voix de Bénédict au bas de l’escalier  ! séparez-vous  ! Mademoiselle de Raimbault, M. de Lansac vous cherche.





VIII


Valentine s’élança hors de la chambre. L’arrivée de M. de Lansac était pour elle un incident agréable ; elle voulait lui faire prendre part à son bonheur ; mais, à son grand déplaisir, Bénédict lui apprit qu’il l’avait dérouté en lui répondant qu’il n’avait pas entendu parler de mademoiselle de Raimbault depuis la fête. Bénédict s’excusa en disant qu’il ne savait pas quelles étaient les dispositions de M. de Lansac à l’égard de Louise. Mais au fond du cœur il avait éprouvé je ne sais quelle joie maligne à envoyer ce pauvre fiancé courir les champs au milieu de la nuit, tandis que lui, Bénédict, tenait la fiancée sous sa garde.

— Ce mensonge est peut-être maladroit, lui dit-il ; mais je l’ai fait dans de bonnes intentions, et il n’est plus temps de le rétracter. Permettez-moi, Mademoiselle, de vous engager à retourner au château tout de suite ; je vous accompagnerai jusqu’à la porte du parc, et vous direz qu’après vous avoir égaré le hasard vous a fait retrouver votre chemin toute seule.

— Sans doute, répondit Valentine troublée : c’est ce qu’il y a de moins inconvenant à faire, après avoir trompé et renvoyé M. de Lansac. Mais si nous le rencontrons ?

— Je dirai, reprit vivement Bénédict, que, prenant part à sa peine, je suis monté à cheval pour l’aider à vous retrouver, et que la fortune m’a mieux servi que lui.

Valentine était bien un peu tourmentée de toutes les conséquences de cette aventure ; mais, après tout, il n’était guère en son pouvoir de s’en occuper. Louise avait jeté une pelisse sur ses épaules, et elle était descendue avec elle dans la salle. Là, saisissant le flambeau que Bénédict avait à la main, elle l’approcha