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— Je vois que je vous effraie, Mademoiselle, reprit Bénédict. C’est que, dans la position délicate où je me trouve jeté par le hasard, je n’ai pas assez d’usage ou d’esprit pour me faire comprendre à demi-mot.

Ces paroles augmentèrent l’effroi et la terreur de Valentine.

— Monsieur, lui dit-elle, je ne pense pas que vous puissiez avoir à me dire quelque chose que je puisse entendre, après l’aveu que vous faites de votre embarras. Puisque vous craignez de m’offenser, je dois craindre de vous laisser commettre une gaucherie. Brisons là, je vous prie ; et comme me voici dans mon chemin, agréez mes remerciements et ne prenez pas la peine d’aller plus loin…

— J’aurais dû m’attendre à cette réponse, dit Bénédict profondément offensé. J’aurais dû moins compter sur ces apparences de raison et de sensibilité que je voyais chez mademoiselle de Raimbault…

Valentine ne daigna pas lui répondre. Elle lui jeta un froid salut, et, tout épouvantée de la situation où elle se trouvait, elle fouetta son cheval et partit.

Bénédict consterné la regardait fuir. Tout d’un coup il se frappa la tête avec dépit.

— Je ne suis qu’un animal stupide, s’écria-t-il ; elle ne me comprend pas !

Et, faisant sauter le fossé à son cheval, il coupe à angle droit l’enclos que Valentine côtoyait : en trois minutes il se trouve vis-à-vis d’elle et lui barre le chemin. Valentine eut tellement peur qu’elle faillit tomber à la renverse.





VII


Bénédict se jette à bas de son cheval.

— Mademoiselle, s’écrie-t-il, je tombe à vos genoux. N’ayez pas peur de moi. Vous voyez bien qu’à pied je ne puis vous poursuivre. Daignez m’écouter un moment. Je ne suis qu’un sot ; je vous ai fait une mortelle injure en m’imaginant que vous ne vouliez pas me comprendre ; et comme en voulant vous préparer je ne ferais qu’accumuler sottise sur sottise, je vais droit au but. N’avez-vous pas entendu parler dernièrement d’une personne qui vous est chère ?

— Ah ! parlez, s’écria Valentine avec un cri parti du cœur.

— Je le savais bien, dit Bénédict avec joie ; vous l’aimez, vous la plaignez  ; on ne nous a pas trompés  ; vous désirez la revoir, vous seriez prête à lui tendre les bras. N’est-ce pas, Mademoiselle, que tout ce qu’on dit de vous est vrai  ?

Il ne vint pas à la pensée de Valentine de se méfier de la sincérité de Bénédict. Il venait de toucher la corde la plus sensible de son âme ; la prudence ne lui eût plus paru que de la lâcheté ; c’est le propre des générosités enthousiastes.

— Si vous savez où elle est, Monsieur, s’écria-t-elle en joignant les mains, béni soyez-vous, car vous allez me l’apprendre.

— Je ferai peut-être une chose coupable aux yeux de la société ; car je vous détournerai de l’obéissance filiale. Et pourtant je vais le faire sans remords ; l’amitié que j’ai pour cette personne m’en fait un devoir, et l’admiration que j’ai pour vous me fait croire que vous ne me le reprocherez jamais. Ce matin elle a fait quatre lieues à pied dans la rosée des prés, sur les cailloux des guérets, enveloppée d’une mante de paysanne, pour vous apercevoir à votre fenêtre ou dans votre jardin. Elle est revenue sans y avoir réussi. Voulez-vous la dédommager ce soir, et la payer de toutes les peines de sa vie ?

— Conduisez-moi vers elle, Monsieur, je vous le demande au nom de ce que vous avez de plus cher au monde.

— Eh bien, dit Bénédict, fiez-vous à moi. Vous ne devez pas vous montrer à la ferme. Quoique mes parents en soient encore absents, les serviteurs vous verraient ; ils parleraient, et demain votre mère, informée de cette visite, susciterait de nouvelles persécutions à votre sœur. Laissez-moi attacher votre cheval avec le mien sous ces arbres et suivez-moi.

Valentine sauta légèrement à terre sans attendre que Bénédict lui offrît la main. Mais à peine y fut-elle que l’instinct du danger, naturel aux femmes les plus pures, se réveilla en elle ; elle eut peur. Bénédict attacha les chevaux sous un massif d’érables touffus. En revenant vers elle, il s’écria d’un ton de franchise :

— Oh ! qu’elle va être heureuse, et qu’elle s’attend peu aux joies qui s’approchent d’elle !

Ces paroles rassurèrent Valentine. Elle suivit son guide dans un sentier tout humide de la rosée du soir, jusqu’à l’entrée d’une chènevière dont un fossé formait la clôture. Il fallait passer sur une planche toute tremblante. Bénédict sauta dans le fossé et lui servit d’appui, tandis que Valentine le franchissait.

— Ici, Perdreau ! à bas ! taisez-vous ! dit-il à un gros chien qui s’avançait sur eux en grondant, et qui, en reconnaissant son maître, fit autant de bruit par ses caresses qu’il en avait fait par sa méfiance.

Bénédict le renvoya d’un coup de pied, et fit entrer sa compagne émue dans le jardin de la ferme situé sur le derrière des bâtiments, comme dans la plupart des habitations rustiques. Ce jardin était fort touffu. Les ronces, es rosiers, les arbres fruitiers y croissaient pêle-mêle, et leurs pousses