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son sein bondit de joie ; car, outre qu’il eût été humiliant pour l’amour-propre d’une si jolie fille de ne pas ouvrir la danse avec son prétendu, Athénaïs aimait réellement Bénédict. Elle reconnaissait instinctivement toute sa supériorité sur elle, et, comme il entre toujours une bonne part de vanité dans l’amour, elle était flattée d’être destinée à un homme mieux élevé que tous ceux qui la courtisaient. Elle parut donc éblouissante de fraîcheur et de vivacité ; sa parure, que Bénédict avait si sévèrement condamnée, sembla charmante à des goûts moins épurés. Les femmes en devinrent laides de jalousie, et les hommes proclamèrent Athénaïs Lhéry la reine du bal.

Cependant vers le soir cette brillante étoile pâlit devant l’astre plus pur et plus radieux de mademoiselle de Raimbault. En entendant ce nom passer de bouche en bouche, Bénédict, poussé par un sentiment de curiosité, suivit les flots d’admirateurs qui se jetaient sur ses pas. Pour la voir, il fut forcé de monter sur un piédestal de pierre brute surmonté d’une croix fort en vénération dans le village. Cet acte d’impiété, ou plutôt d’étourderie, attira les regards vers lui, et ceux de mademoiselle de Raimbault suivant la même direction que la foule, elle se présenta à lui de face et sans obstacle.

Elle ne lui plut pas. Il s’était fait un type de femme brune, pâle, ardente, espagnole, mobile, dont il ne voulait pas se départir. Mademoiselle Valentine ne réalisait point son idéal ; elle était blanche, blonde, calme, grande, fraîche, admirablement belle de tous points. Elle n’avait aucun des défauts dont le cerveau malade de Bénédict s’était épris à la vue de ces œuvres d’art où le pinceau, en poétisant la laideur, l’a rendue plus attrayante que la beauté même. Et puis, mademoiselle de Raimbault avait une dignité douce et réelle qui imposait trop pour charmer au premier abord. Dans la courbe de son profil, dans la finesse de ses cheveux, dans la grâce de son cou, dans la largeur de ses blanches épaules, il y avait mille souvenirs de la cour de Louis XIV. On sentait qu’il avait fallu toute une race de preux pour produire cette combinaison de traits purs et nobles, toutes ces grâces presque royales, qui se révélaient lentement, comme celle du cygne jouant au soleil avec une langueur majestueuse.

Bénédict descendit de son poste au pied de la croix, et, malgré les murmures des bonnes femmes de l’endroit, vingt autres jeunes gens se succédèrent à cette place enviée qui permettait de voir et d’être vu. Bénédict se trouva, une heure après, porté vers mesdames de Raimbault. Son oncle, qui était occupé à leur parler chapeau bas, l’ayant aperçu, vint le prendre par le bras et le leur présenta.

Valentine était assise sur le gazon, entre sa mère la comtesse de Raimbault et sa grand’mère la marquise de Raimbault. Bénédict ne connaissait aucune de ces trois femmes ; mais il avait si souvent entendu parler d’elles à la ferme, qu’il s’attendait au salut dédaigneux et glacé de l’une, à l’accueil familier et communicatif de l’autre. Il semblait que la vieille marquise voulût réparer, à force de démonstrations, le silence méprisant de sa belle-fille. Mais, dans cette affectation de popularité, on retrouvait l’habitude