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tout en folâtrant, il réussissait à toucher sa main, à effleurer ses cheveux, à lui ravir quelque ruban ou quelque fleur. À dix-sept ans, on en est encore à la poésie de Dorat.

Bénédict, lors même que sa cousine ne lui apportait aucune bonne nouvelle, était heureux d’entendre parler de Valentine. Il l’interrogeait sur les moindres actes de sa vie, il se faisait redire mot pour mot ses entretiens avec Athénaïs. Enfin, il s’abandonnait à la douceur d’être encouragé et consolé, sans se douter des funestes conséquences que devaient avoir ses relations si pures avec sa cousine.

Pendant ce temps, Pierre Blutty était allé en Marche pour donner un coup d’œil à ses affaires particulières. À la fin de la semaine, il revint par un village où se tenait une foire, et où il s’arrêta pour vingt-quatre heures. Il y rencontra son ami Simonneau.

Un malheureux hasard avait voulu que Simonneau se fût énamouré depuis peu d’une grosse gardeuse d’oies, dont la chaumière était située dans un chemin creux à trois pas de la prairie. Il s’y rendait chaque jour, et de la lucarne d’un grenier à foin qui servait de temple à ses amours rustiques, il voyait passer et repasser dans le sentier Athénaïs, appuyée sur le bras de Bénédict. Il ne manqua pas d’incriminer ces rendez-vous. Il se rappelait l’ancien amour de mademoiselle Lhéry pour son cousin ; il savait la jalousie de Pierre Blutty, et il n’imaginait pas qu’une femme pût venir trouver un homme, causer confidentiellement avec lui, sans y porter des sentiments et des intentions contraires à la fidélité conjugale.

Dans son gros bon sens, il se promit d’avertir Pierre Blutty, et il n’y manqua pas. Le fermier entra dans une fureur épouvantable, et voulut partir sur-le-champ pour assommer son rival et sa femme. Simonneau le calma un peu en lui faisant observer que le mal n’était peut-être pas aussi grand qu’il pouvait le devenir.

— Foi de Simonneau, lui dit-il, j’ai presque toujours vu le garçon à mademoiselle Louise avec eux, mais à environ trente pas ; il pouvait les voir, aussi je pense bien qu’ils ne pouvaient pas faire grand mal ; mais ils pouvaient en dire ; car, lorsqu’il s’approchait d’eux, ils avaient soin de le renvoyer. Ta femme lui tapait doucement sur la joue, et le faisait courir bien loin, afin de causer à son aise apparemment.

— Voyez-vous, l’effrontée ! disait Pierre Blutty en se mordant les poings. Ah ! je devais bien m’en douter que cela finirait ainsi. Ce freluquet-là ! il en conte à toutes les femmes. Il a fait la cour à mademoiselle Louise en même temps qu’à ma femme avant son mariage. Depuis, il est au su de tout le monde qu’il a osé courtiser madame de Lansac. Mais celle-là est une femme honnête et respectable, qui a refusé de le voir, et qui a déclaré qu’il ne mettrait jamais les pieds à la ferme tant qu’elle y serait. Je le sais bien, peut-être ! j’ai entendu qu’elle le disait à sa sœur, le jour où elle est venue loger chez nous. Maintenant, faute de mieux, ce monsieur veut bien revenir à ma femme ! Qu’est-ce qui me répondra d’ailleurs qu’ils ne s’entendent pas depuis longtemps ? Pourquoi était-elle si entichée, ces derniers mois, d’aller au château tous les soirs, contre mon gré ? C’est qu’elle le voyait là. Et il y a un diable de parc où ils se promenaient tous deux tant qu’ils voulaient. Vingt mille tonnerres ! je m’en vengerai ! À présent qu’on a fermé le parc, ils se donnent rendez-vous dans le bois, c’est tout clair ! Sais-je ce qui se passe la nuit ? Mais, triple diable ! me voici ; nous verrons si cette fois Satan défendra sa peau. Je leur ferai voir qu’on n’insulte pas impunément Pierre Blutty.

— S’il te faut un camarade, tu sais que je suis là, répondit Simonneau.

Les deux amis se pressèrent la main et prirent ensemble le chemin de la ferme.

Cependant Athénaïs avait si bien plaidé pour Bénédict, elle avait avec tant de candeur et de zèle défendu la cause de l’amour ; elle avait surtout si bien peint sa tristesse, l’altération de sa santé, sa pâleur, ses anxiétés ; elle l’avait montré si soumis, si timide, que la faible Valentine s’était laissé fléchir. En secret même, elle avait été bien aise de voir solliciter son rappel ; car à elle aussi les journées semblaient bien longues et sa résolution bien cruelle.

Bientôt il n’avait plus été question que de la difficulté de se voir.

— Je suis forcée, avait dit Valentine, de me cacher de cet amour comme d’un crime. Un ennemi que j’ignore, et qui sans doute me surveille de bien près, a réussi à me brouiller avec ma mère. Maintenant je sollicite mon pardon ; car quel autre appui me reste ? Mais si je me compromets par quelque nouvelle imprudence, elle le saura, et il ne faudra plus espérer la fléchir. Je ne puis donc pas aller avec toi à la prairie.

— Non, sans doute, dit Athénaïs, mais il peut venir ici.

— Y songes-tu ? reprit Valentine. Outre que ton mari s’est prononcé souvent à cet égard d’une manière hostile, et que la présence de Bénédict à la ferme pourrait faire naître des querelles dans ta famille et dans ton ménage, rien ne serait plus manifeste pour me compromettre que cette démarche, après deux ans écoulés sans reparaître ici. Son