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surtout, ne s’arracha plus de ses bras quand il revint à la vie…

C’était un moment fatal qui devait arriver tôt ou tard. Il y a bien de la témérité à espérer vaincre une passion, quand on se voit tous les jours et qu’on a vingt ans.

Durant les premiers jours, Valentine, emportée au delà de toutes ses impressions habituelles, ne songea point au repentir ; mais ce moment vint et il fut terrible.

Alors Bénédict regretta amèrement un bonheur qu’il fallait payer si cher. Sa faute reçut le plus rude châtiment qui pût lui être infligé : il vit Valentine pleurer et dépérir de chagrin.

Trop vertueux l’un et l’autre pour s’endormir dans des joies qu’ils avaient réprouvées et repoussées si longtemps, leur existence devint cruelle. Valentine n’était point capable de transiger avec sa conscience. Bénédict aimait trop passionnément pour sentir un bonheur que ne partageait plus Valentine. Tous deux étaient trop faibles, trop livrés à eux-mêmes, trop dominés par les impétueuses sensations de la jeunesse, pour s’arracher à ces joies pleines de remords. Ils se quittaient avec désespoir ; ils se retrouvaient avec enthousiasme. Leur vie était un combat perpétuel, un orage toujours renaissant, une volupté sans bornes et un enfer sans issue.

Bénédict accusait Valentine de l’aimer peu, de ne pas savoir le préférer à son honneur, à l’estime d’elle-même, de n’être capable d’aucun sacrifice complet ; et quand ces reproches avaient amené une nouvelle faiblesse de Valentine, quand il la voyait pleurer avec désespoir et succomber sous de pâles terreurs, il haïssait le bonheur qu’il venait de goûter ; il eût voulu au prix de son sang en laver le souvenir. Il lui offrait alors de la fuir, il lui jurait de supporter la vie et l’exil ; mais elle n’avait plus la force de l’éloigner.

— Ainsi je resterais seule et abandonnée à ma douleur ! lui disait-elle ; non, ne me laissez pas ainsi, j’en mourrais ; je ne puis plus vivre qu’en m’étourdissant. Dès que je rentre en moi-même, je sens que je suis perdue ; ma raison s’égare, et je serais capable de couronner mes crimes par le suicide. Votre présence du moins me donne la force de vivre dans l’oubli de mes devoirs. Attendons encore, espérons, prions Dieu ; seule, je ne puis plus prier ; mais près de vous l’espoir me revient. Je me flatte de trouver un jour assez de vertu en moi pour vous aimer sans crime. Peut-être m’en donnerez-vous le premier, car enfin vous êtes plus fort que moi ; c’est moi qui vous repousse et qui vous rappelle toujours.

Et puis venaient ces moments de passion impétueuse où l’enfer avec ses terreurs faisait sourire Valentine. Elle n’était pas incrédule alors, elle était fanatique d’impiété.

— Eh bien, disait-elle, bravons tout ; qu’importe que je perde mon âme ? Soyons heureux sur la terre ; le bonheur d’être à toi sera-t-il trop payé par une éternité de tourments ? Je voudrais avoir quelque chose de plus à te sacrifier ; dis, ne sais-tu pas un prix qui puisse m’acquitter envers toi ?

— Oh ! si tu étais toujours ainsi ! s’écriait Bénédict.

Ainsi Valentine, de calme et réservée qu’elle était naturellement, était devenue passionnée jusqu’au délire par suite d’un impitoyable concours de malheurs et de séductions qui avaient développé en elle de nouvelles facultés pour combattre et pour aimer. Plus sa résistance avait été longue et raisonnée, plus sa chute était violente. Plus elle avait amassé de forces pour repousser la passion, plus la passion trouvait en elle les aliments de sa force et de sa durée.

Un événement que Valentine avait pour ainsi dire oublié de prévoir, vint faire diversion à ces orages. Un matin, M. Grapp se présenta muni de pièces en vertu desquelles le château et la terre de Raimbault lui appartenaient, sauf une valeur de vingt mille francs environ, qui constituait à l’avenir toute la fortune de madame de Lansac. Les terres furent immédiatement mises en vente, au plus offrant, et Valentine fut sommée de sortir, sous vingt-quatre heures, des propriétés de M. Grapp.

Ce fut un coup de foudre pour ceux qui l’aimaient ; jamais fléau céleste ne causa dans le pays une semblable consternation. Mais Valentine ressentit moins son malheur qu’elle ne l’eût fait dans une autre situation ; elle pensa, dans le secret de son cœur, que M. de Lansac étant assez vil pour se faire payer son déshonneur au poids de l’or, elle était pour ainsi dire quitte envers lui. Elle ne regretta que le pavillon, asile d’un bonheur pour jamais évanoui, et, après en avoir retiré le peu de meubles qu’il lui fut permis d’emporter, elle accepta provisoirement un refuge à la ferme de Grangeneuve, que les Lhéry, en vertu d’un arrangement avec Grapp, étaient eux-mêmes sur le point de quitter.



XXXVII.

Au milieu de l’agitation que lui causa ce bouleversement de sa destinée, elle passa quelques jours sans voir Bénédict. Le courage avec lequel elle supporta l’épreuve de sa ruine raffermit un peu son âme, et elle trouva en elle assez de calme pour tenter d’autres efforts.