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vous, reprit l’autre du même ton rude et persévérant ; votre femme… c’est-à-dire votre épouse, peut faire avorter tous vos projets ; elle peut refuser de signer…

— Elle ne refusera pas…

— Hein ! vous direz peut-être que je vais trop loin ; mais moi, après tout, j’ai le droit de voir clair dans les affaires de famille. Il m’a semblé que vous n’étiez pas aussi enchantés de vous revoir que vous me l’aviez fait entendre.

— Comment ! dit le comte pâlissant de colère à l’insolence de cet homme.

— Non, non ! reprit tranquillement l’usurier. Madame la comtesse a eu l’air médiocrement flattée. Je m’y connais, moi…

— Monsieur ! dit le comte d’un ton menaçant.

— Monsieur ! dit l’usurier d’un ton plus haut encore et fixant sur son débiteur ses petits yeux de sanglier ; écoutez, il faut de la franchise en affaires, et vous n’en avez point mis dans celle-ci… Écoutez, écoutez ! Il ne s’agit pas de s’emporter. Je n’ignore pas que d’un mot madame de Lansac peut prolonger indéfiniment ma créance ; et qu’est-ce que je tirerai de vous après ? Quand je vous ferais coffrer à Sainte-Pélagie, il faudrait vous y nourrir ; et il n’est pas sûr qu’au train dont va l’affection de votre femme, elle voulût vous en tirer de si tôt…

— Mais enfin, Monsieur, s’écria le comte outré, que voulez-vous dire ? sur quoi fondez-vous…

— Je veux dire que j’ai aussi, moi, une femme jeune et jolie. Avec de l’argent, qu’est-ce qu’on n’a pas ? Eh bien, quand j’ai fait une absence de quinze jours seulement, quoique ma maison soit aussi grande que la vôtre, ma femme, je veux dire mon épouse, n’occupe pas le premier étage tandis que j’occupe le rez-de-chaussée. Au lieu qu’ici, Monsieur… Je sais bien que les ci-devant nobles ont conservé leurs anciens usages, qu’ils vivent à part de leurs femmes ; mais mordieu ! Monsieur, il y a deux ans que vous êtes séparé de la vôtre…

Le comte froissait avec fureur une branche qu’il avait ramassée pour se donner une contenance.

— Monsieur, brisons là ! dit-il étouffant de colère. Vous n’avez pas le droit de vous immiscer dans mes affaires à ce point ; demain vous aurez la garantie que vous exigez, et je vous ferai comprendre alors que vous avez été trop loin.

Le ton dont il prononça ces paroles effraya fort peu M. Grapp ; il était endurci aux menaces, et il y avait une chose dont il avait bien plus peur que des coups de canne : c’était la banqueroute de ses débiteurs.

La journée fut employée à visiter la propriété. M. Grapp avait fait venir dans la matinée un employé au cadastre. Il parcourut les bois, les