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régnait en ce lieu une minute auparavant. Ainsi fut bouleversé le beau rêve de bonheur dont se berçait cette famille. Dispersée tout à coup comme les feuilles que le vent balaie en tourbillon, elle se sépara pleine d’anxiétés et d’alarmes. Valentine pressa Louise et son fils dans ses bras.

— À jamais à vous ! leur dit-elle en les quittant ; nous nous reverrons bientôt, j’espère ; peut-être demain.

Valentin secoua tristement la tête ; un mouvement de fierté et de haine indéfinissable venait d’éclore en lui au nom de M. de Lansac. Il avait souvent songé que ce noble comte pourrait bien le chasser de sa maison ; cette idée avait parfois empoisonné le bonheur qu’il y goûtait.

— Cet homme fera bien de vous rendre heureuse, dit-il à sa tante d’un air martial qui la fit sourire d’attendrissement ; sinon il aura affaire à moi !

— Que pourrais-tu craindre avec un tel chevalier ? dit Athénaïs à madame de Lansac en s’efforçant de paraître gaie, et en donnant une petite tape de sa main ronde et polie sur la joue enflammée du jeune homme.

— Venez-vous, Bénédict ? cria Louise en se dirigeant vers la porte du parc qui s’ouvrait sur la campagne.

— Tout à l’heure, répondit-il.

Il suivit Valentine vers l’autre sortie, et tandis que Catherine éteignait à la hâte les bougies et fermait le pavillon :

— Valentine !… lui dit-il d’une voix sourde et violemment agitée.

Il ne put en dire davantage. Comment eût-il osé exprimer d’ailleurs le sujet de ses craintes et de sa fureur ?

Valentine le comprit, et lui tendant la main d’un air ferme :

— Soyez tranquille, lui répondit-elle avec un sourire d’amour et de fierté.

L’expression de sa voix et de son regard eut tant de puissance sur Bénédict que, docile à la volonté de Valentine, il s’éloigna presque tranquille.



XXXI.

M. de Lansac en costume de voyage et affectant une grande fatigue, s’était drapé nonchalamment sur le canapé du grand salon. Il vint au-devant de Valentine d’un air galant et empressé dès qu’il l’aperçut. Valentine tremblait et se sentait près de s’évanouir. Sa pâleur, sa consternation, n’échappèrent point au comte ; il feignit de ne pas s’en apercevoir, et lui fit compliment au contraire sur l’éclat de ses yeux et la fraîcheur de son teint. Puis il se mit aussitôt à causer avec cette aisance que donne l’habitude de la dissimulation ; et le ton dont il parla de son voyage, la joie qu’il exprima de se retrouver auprès de sa femme, les questions bienveillantes qu’il lui adressa sur sa santé, sur les plaisirs de sa retraite, l’aidèrent à se remettre de son émotion et à paraître, comme lui, calme, gracieuse et polie.

Ce fut alors seulement qu’elle remarqua dans un coin du salon un homme gros et court, d’une figure rude et commune ; M. de Lansac le lui présenta comme un de ses amis. Il y avait quelque chose de contraint dans la manière dont M. de Lansac prononça ces mots ; le regard sombre et terne de cet homme, le salut raide et gauche qu’il lui rendit, inspirèrent à Valentine un éloignement irrésistible pour cette figure ingrate, qui semblait se trouver déplacée en sa présence, et qui s’efforçait, à force d’impudence, de déguiser le malaise de sa situation.

Après avoir soupé à la même table et vis-à-vis de cet inconnu d’un extérieur si repoussant, M. de Lansac pria Valentine de donner des ordres pour qu’on préparât un des meilleurs appartements du château à son bon M. Grapp. Valentine obéit, et quelques instants après M. Grapp se retira, après avoir échangé