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cheveux d’un blond cendré, comme ceux de Valentine, flottant par grosses boucles sur un cou blanc et poli comme le marbre de l’Antinoüs. L’étourdie n’était pas fâchée de répéter à tout propos que c’était un enfant sans conséquence, afin d’avoir le droit de baiser de temps en temps ce front si pur et si limpide, et de passer ses doigts dans ces cheveux qu’elle comparait à la soie vierge des cocons dorés.

Le pavillon était donc pour tous, à la fin du jour, un lieu de repos et de délices. Valentine n’y admettait aucun profane, et ne permettait aucune communication avec les gens du château. Catherine avait seule droit d’y pénétrer et d’en prendre soin. C’était l’Élysée, le monde poétique, la vie dorée de Valentine ; au château, tous les ennuis, toutes les servitudes, toutes les tristesses ; la grand’mère infirme, les visites importunes, les réflexions pénibles et l’oratoire plein de remords ; au pavillon, tous les bonheurs, tous les amis, tous les doux rêves, l’oubli des terreurs, et les joies pures d’un amour chaste. C’était comme une île enchantée au milieu de la vie réelle, comme une oasis dans le désert.

Au pavillon, Louise oubliait ses amertumes secrètes, ses violences comprimées, son amour méconnu. Bénédict, heureux de voir Valentine s’abandonner sans résistance à sa foi, semblait avoir changé de caractère ; il avait dépouillé ses inégalités, ses injustices, ses brusqueries cruelles. Il s’occupait de Louise presque autant que de sa sœur ; il se promenait avec elle sous les tilleuls du parc, un bras passé sous le sien. Il lui parlait de Valentin, lui vantait ses qualités, son intelligence, ses progrès rapides ; il la remerciait de lui avoir donné un ami et un fils. La pauvre Louise pleurait en l’écoutant, et s’efforçait de trouver l’amitié de Bénédict plus flatteuse et plus douce que ne l’eût été son amour.

Athénaïs, rieuse et folâtre, reprenait au pavillon toute l’insouciance de son âge ; elle oubliait là les tracas du ménage, les orageuses tendresses et la jalouse défiance de Pierre Blutty. Elle aimait encore Bénédict, mais autrement que par le passé ; elle ne voyait plus en lui qu’un ami sincère. Il l’appelait sa sœur, comme Louise et Valentine ; seulement il se plaisait à la nommer sa petite sœur. Athénaïs n’avait pas assez de poésie dans l’esprit pour s’obstiner à nourrir une passion malheureuse. Elle était assez jeune, assez belle pour aspirer à un amour partagé, et jusque-là Pierre Blutty n’avait pas contribué à faire souffrir sa petite vanité de femme. Elle en parlait avec estime, la rougeur au front et le sourire sur les lèvres ; et puis, à la moindre remarque maligne de Louise, elle s’enfuyait, légère espiègle, parmi les sentiers du parc, traînant après elle le timide Valentin, qu’elle traitait de petit écolier, et qui n’avait guère qu’un an de moins qu’elle.

Mais ce qu’il serait impossible de rendre, c’est la tendresse muette et réservée de Bénédict et de Valentine, c’est ce sentiment exquis de pudeur et de dévouement qui dominait chez eux la passion ardente toujours prête à déborder. Il y avait dans cette lutte éternelle mille tourments et mille délices, et peut-être Bénédict chérissait-il autant les uns que les autres. Valentine pouvait souvent encore craindre d’offenser Dieu et souffrir de ses scrupules religieux ; mais lui, qui ne concevait pas aussi bien l’étendue des devoirs d’une femme, se flattait de n’avoir entraîné Valentine dans aucune faute et de ne l’exposer à aucun repentir. Il lui sacrifiait avec joie ces brûlantes aspirations qui le dévoraient. Il était fier de savoir souffrir et vaincre : tout bas, son imagination s’enivrait de mille désirs et de mille rêves ; mais tout haut il bénissait Valentine des moindres faveurs. Effleurer ses cheveux, respirer ses parfums, se coucher sur l’herbe à ses pieds, la tête appuyée sur un coin de son tablier de soie, reprendre sur le front de Valentin un des baisers qu’elle venait d’y déposer, emporter furtivement, le soir, le bouquet qui s’était flétri à sa ceinture, c’étaient là les grands accidents et les grandes joies de cette vie de privation, d’amour et de bonheur.