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mérite de l’âme généreuse et vaillante qui surmonte toutes les épreuves. Être aimé d’elle est une gloire, l’avoir pour femme est une suprématie. Tu vois, je sais ce qu’elle vaut ; mais moi, est-ce que je vaux quelque chose ? est-ce que je suis digne d’une telle femme ? Qu’ai-je fait pour la mériter ? Bien au contraire, j’ai traversé, non sans quelque souillure, une vie dont elle n’a pas la moindre idée, et d’où j’ai dû chasser son image pour l’empêcher de me faire honte de mes plaisirs. Et à présent, je reviens à elle amoindri et attristé. On devrait se marier à dix-huit ans, mon père ! dans la ferveur de la foi en soi-même, dans l’orgueil de la sainte innocence. On se sentirait l’égal de sa compagne, on serait sûr de mériter son respect… Oui, l’amour conjugal est cette chose austère et sacrée dont on peut dire que, si ce n’est pas tout, ce n’est rien. Eh bien ! jusqu’à ces derniers temps, je ne l’avais pas compris, et, quand mes sens m’ont entraîné ailleurs, j’ai cru que je n’enlevais rien à Émilie de mon estime et de mon respect. J’ai vu depuis que je m’étais trompé. Mon culte s’est refroidi, j’ai reconnu que je ne l’avais jamais aimée comme je le devais, puisque j’avais pu l’oublier. J’ai eu peur d’elle et de moi ; je me suis dit qu’elle m’était trop supérieure, moralement parlant, pour me revoir avec joie et pour se donner à moi avec enthousiasme ; j’ai vu dans le mariage