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des reines-marguerites splendides, des roses-thé modèles, du réséda et de l’héliotrope à foison, des sauges pourpre, et ces grandes mauves dont la feuille naturellement gaufrée et frisée égaie et embellit les pyramides de fruits du dessert.

— Voyons, dis-je à Henri, que me raconteras-tu de toi-même ? Tu n’as rien dit à Miette, je le sais…

— Et je ne lui dirai rien, répondit-il. Je dirais mal, j’ai le cœur trop plein. J’ai retrouvé à Vignolette toute la suavité de mes premiers enivrements ; chaque feuille, chaque brin d’herbe était une page de ma vie et m’apportait du passé une image pure et brûlante. La demeure d’Émilie est un sanctuaire pour moi. Croirais-tu que je ne me suis pas permis de regarder dans sa chambre, même du dehors, par les croisées souvent ouvertes ? Au salon, je me contentais de regarder la broderie de ses meubles, dont chaque point patiemment nuancé et aligné était comme un reproche à mes heures perdues ou mal employées loin d’elle. Quel effrayant contraste entre la vie d’une fille pure et celle du moins dépravé des garçons ! Émilie a déjà vingt-deux ans ; elle en a passé trois ou quatre à attendre que mon bon plaisir me ramenât auprès d’elle, les années les plus difficiles peut-être dans la vie d’une femme ! Elle a surmonté la souf-